
Le Chapon Fin à Bordeaux : une légende culinaire au coeur du Sud-Ouest
Au coin de la rue Montesquieu à Bordeaux, dans ce que l’on appelle encore le Triangle d’Or, un restaurant discret cache une histoire depuis 1825. Le Chapon Fin. Deux siècles de repas et de vins tirés de caves anciennes… sans compter ses illustres hôtes qui se sont attablés là. Les pierres ont vu défiler des rois, des reines, des artistes, des personnalités de haut vol. The New Siècle porte un regard sur cette institution bordelaise qui s’apprête à célébrer son bicentenaire.
Un décor Belle Époque, capsule de mémoire
La salle parle avant les assiettes. Un décor de rocaille Belle Époque, monumental, façonné en 1901 par Cyprien Alfred-Duprat. La verrière diffuse une lumière voilée qui glisse sur les reliefs calcaires. Les tables, elles, semblent plantées entre des failles de pierre, comme si l’on dînait au cœur d’un décor naturel domestiqué par la main de l’homme.

Les soirs fastueux, les noms résonnaient autant que les couverts. Sarah Bernhardt prenait place dans un coin discret. Henri de Toulouse-Lautrec s’y attardait, carnet en poche. Plus loin, le Prince de Galles, futur Édouard VII, se laissait séduire par les vins bordelais. On y a vu aussi Manoel II, dernier roi du Portugal, en exil. Et même Clemenceau, de passage à Bordeaux, qui trouvait là un théâtre à sa mesure. Alphonse XIII, lui, allait plus loin. Il tenait au Chapon Fin sa propre cave personnelle. Preuve d’un attachement qui dépasse le simple plaisir de table. On imagine encore l’air saturé des soirées… plus lourd que le velours des tentures.

Des étoiles passées au renouveau culinaire
Au XXᵉ siècle, la maison entre dans la légende du guide Michelin. Sous la houlette du chef Joseph Sicart, Le Chapon Fin Bordeaux décroche les trois étoiles dès 1933, à l’époque où le guide en était à ses balbutiements. Les plats avaient alors des allures de cérémonies : sole au caviar, sauces bordelaises intenses, lièvres travaillés comme des pièces de musée et pigeons rôtis aux jus serrés. La maison conservera ce prestige jusque dans les années 1950, perdant progressivement ses étoiles…

Aujourd’hui, le relais est dirigé par le chef Younesse Bouakkaoui. Passé par Cordeillan-Bages et formé auprès de Thierry Marx, il installe une écriture nouvelle. Enfin, pas tant… puisque sa cuisine se veut contemporaine et traditionnelle. Et même si la maison n’affiche plus les trois étoiles de Sicart, le chef Bouakkaoui n’a pas à rougir. Son travail redonne à la table l’élan d’un grand restaurant en mouvement, mettant un point d’honneur à revisiter les classiques du lieu sans en perdre la saveur d’antan.

Au Chapon Fin, vous pouvez donc déguster un ris de veau croustillant laissant apparaître son jus au Sauternes. Un pigeon servi rosé, accompagné de ses petits légumes presque crus. Ou encore une sole, rendant hommage à Joseph Sicart dont la recette au caviar avait marqué l’histoire de la maison… revisitée aujourd’hui avec une légèreté nouvelle…. On appelle cela le renouveau culinaire 2025. Une manière de dire que deux siècles n’empêchent pas l’avenir de s’inviter à table.
La cave du XVIᵉ siècle, âme cachée du Chapon Fin
Sous la salle, une cave creusée au XVIᵉ siècle. On y descend comme dans une crypte. Elle abrite aujourd’hui plus de 1 000 références de vins. Bordeaux, évidemment, mais pas seulement. Bourgogne, Toscane, Rioja, Champagne… Des nectars d’exception.

Le maître des lieux n’est autre que le sommelier Brice Raymond. Il aime surprendre. Proposer un vieux Graves avec un poisson, ouvrir un Château d’Yquem 1928 pour rappeler que le temps est l’ingrédient secret de cette maison. Les millésimes parlent autant que les assiettes. Certains poussent la porte du Chapon Fin pour dîner. D’autres préfèrent descendre dans la cave, effleurer les flacons, approcher une mémoire encore vibrante. C’est aussi cela, le luxe.
Deux siècles célébrés… et une maison toujours en mouvement
2025 a été marqué par le bicentenaire du Chapon Fin Bordeaux. L’événement a pris des allures de renaissance. Les différents Dîners organisés à cette occasion ont installé un tempo particulier. Le mois d’avril a ouvert le bal avec l’ancien chef du restaurant Francis Garcia, revenu orchestrer une plongée dans le XIXᵉ siècle. Puis d’autres soirées ont prolongé la fête, entre clins d’œil aux anciens chefs, accords inattendus avec l’Opéra et le Trianon, concerts intimistes dans la cave du XVIᵉ siècle guidés par le sommelier Brice Raymond. Chaque rendez-vous a joué la même partition, celle de convoquer la mémoire tout en dessinant l’avenir. Patrimoine vivant, répète la direction.

Le Chapon Fin Bordeaux est un symbole. Un lieu où se superposent les couches du temps : la grotte Belle Époque, les fantômes de Lautrec et de Bernhardt, les souvenirs d’Alphonse XIII, les trois étoiles de Sicart… Mais aussi l’audace d’un chef qui préfère revisiter plutôt que répéter, sans perdre l’aura des plats emblématiques du lieu. Bordeaux tient là une légende qui continue de porter sa table. Comme si deux siècles n’avaient fait que préparer les prochains mets à déguster…

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