Interview : Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert – Fondateurs de Moteur & Sens
Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert débutent dans le journalisme automobile, prêtant leurs plumes à Sport Auto, RS Magazine, Échappement et Turbo. C’est là qu’ils se rencontrent en 2008. En 2018, ils cofondent Moteur & Sens. Leur ambition ? Commercialiser des véhicules d’exception en orchestrant, sur rendez-vous, des visites confidentielles en showroom où Ferrari, Porsche et Aston Martin se côtoient dans une mise en scène maîtrisée du luxe sobre. Six ans après sa création, une levée de fonds de 7 millions d’euros marque une nouvelle étape. Le fonds Seine Capital entre au capital pour accompagner le développement national et l’élargissement des services de Moteur & Sens. Aujourd’hui, l’entreprise réalise plus de 90 millions d’euros de chiffre d’affaires, pour environ 400 véhicules vendus chaque année.
Dans cet échange inédit, The New Siècle s’est entretenu avec les deux associés sur la création de Moteur & Sens, la gestion stratégique d’un stock de voitures haut de gamme représentant plusieurs millions d’euros immobilisés, les contraintes du sourcing, l’évolution du marché secondaire, et les effets concrets de l’arrivée d’un investisseur dans une entreprise restée jusqu’ici entièrement indépendante.
I. Stocks & sourcing
Moteur & Sens existe depuis sept ans.
1 – Comment votre chiffre d’affaires et la composition de votre stock ont-ils évolué au fil de cette croissance ?
« Notre évolution est allée relativement vite. Nous avons fait la première année en six mois 5M€ de CA. Puis 20, puis 50 et ensuite 100M€ depuis 3 ans chaque années. Nous avons commencé avec nos économies : 140 000 €. Avec cela nous avons acheté une Ferrari 458 Italia. Si nous ne la vendions pas en un mois, nous ne pouvions pas payer notre loyer. Ça a payé et l’effet boule de neige a pris.
Nous avons bien sûr commencé en faisant beaucoup de dépôts vente. C’est une part importante de notre activité. Mais d’année en année, cette part diminue puisque nous faisons bien souvent des reprises, même sur les dépôts. C’est donc une fuite en avant de trésorerie permanente ! Aujourd’hui, nous avons 14M€ de trésorerie et malgré cela, chaque jour est une bataille pour assumer les achats et les reprises. » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
La vente de voitures de luxe implique une mobilisation importante de trésorerie. Chaque modèle peut représenter des centaines de milliers d’euros.
2 – Quelles stratégies avez-vous mises en place pour optimiser la gestion de vos stocks ?
« Nous avons une grosse partie de trésorerie en propre mais également quelques lignes bancaires. Malheureusement ces lignes coûtent de plus en plus cher. Heureusement, la rentrée de Seine Capital nous a aidé à réduire cette dépendance bancaire et de ce fait à réduire nos coûts. » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
3 – Comment déterminez-vous le juste prix d’acquisition d’un véhicule d’exception ?
« C’est un savant calcul. Chaque marque et modèle a des caractéristiques propres qui font varier les prix. C’est assez inexplicable mais il faut prendre en compte le kilométrage, les options, l’historique, la couleur, la rareté mais aussi notre passif de rotation de stock avec cette marque ou modèles. » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
Vos voitures viennent de collections privées, de réseaux discrets, parfois de l’étranger.
4 – Quels sont aujourd’hui vos canaux de sourcing les plus fiables ? Et comment sécurisez-vous la traçabilité des véhicules ?
« La principale source d’approvisionnement est notre clientèle historique. Nous avons un taux de renouvellement d’environ 80%. C’est donc un cercle vertueux. Nous vendons de bons produits que nous reprenons quelques mois ou années après pour les revendre et ainsi de suite. Nous avons donc tout intérêt à vendre de bons produits, bien configurés. La plupart du temps, lorsque nous livrons une auto, nous avons hâte de la reprendre pour pouvoir la proposer à d’autres clients.
Nous faisons aussi de la recherche personnalisée. Dans ce cas de figure, nous sollicitons nos partenaires historiques dans toute l’Europe. Nous avons tissé des liens avec de nombreux acteurs depuis plus de 10 ans. Lorsque nous trouvons une auto, soit nous nous déplaçons, soit nous envoyons un expert la regarder avant de l’importer. » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
Ferrari, Lamborghini, McLaren, certains modèles sont particulièrement rares et recherchés.
5 – Lequel a été le plus difficile à obtenir ?
« Nous arrivons toujours à trouver les produits que nous cherchons mais c’est parfois difficile car certaines autos finissent dans des collections et se raréfient avec le temps. Nous cherchons actuellement une Ferrari F50. Entre les mauvais produits, les courtiers en herbes qui proposent des voitures très approximatives et les propriétaires trop ambitieux sur leurs prix, il est parfois très difficile d’obtenir un deal convenable. C’est certainement notre recherche la plus difficile jusqu’alors. » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
6 – Quel a été le modèle le plus exceptionnel qu’on vous ait demandé de trouver ? Et combien de temps a-t-il fallu pour livrer l’impossible ?
« En fin d’année dernière, nous avons dû chercher une Ferrari F40 de moins de 10 000 km. Le client étant extrêmement exigeant, il a fallu nous déplacer pour en voir plusieurs. Certaines n’étaient pas convenables et l’une d’entre elles avait même été lourdement accidentée et c’est nous qui l’avons appris à son propriétaire qui n’en avait pas connaissance alors qu’il l’avait acheté il y a 12 ans.
Il est difficile de ne pas tomber dans certains pièges, même à ce niveau de véhicules. Cette recherche à pris plusieurs mois mais a abouti par la vente d’un modèle exceptionnel. » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
II. Une signature unique
7 – Comment Moteur & Sens se distingue-t-il des autres acteurs spécialisés dans la vente d’automobiles de prestige ?
« Nous avons toujours voulu nous différencier par notre professionnalisme et notre communication. Très tôt, nous avons décidé de communiquer face caméra sur les réseaux sociaux. Notre volonté était de tout montrer afin de dévoiler les dessous de cette activité bien souvent trop fermée. Nous sommes malheureusement dans un domaine du luxe très opaque. Il est souvent difficile d’avoir des informations et cela ne facilite pas la confiance des clients.
Nous avons également développé un parcours client qui nous est propre. Chaque transaction se termine par un petit spectacle personnalisé. » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
8 – Pour vous, que signifie vraiment un service client haut de gamme, et comment l’incarnez-vous ?
« Le vrai luxe que recherchent nos clients aujourd’hui est l’immédiateté. Nos clients veulent de la réactivité et ne pas attendre pour obtenir une auto ou une offre d’achat ou de reprise. Nous offrons bien sûr cela à notre clientèle. L’autre axe est l’expérience client. Nous avons établi ici un parcours clients digne des maisons de luxe avec des évènements, des rallyes, des partenariats et une expérience d’achat unique. » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
9 – Quels sont les cinq modèles à couper le souffle actuellement disponibles dans votre parc ?
« Nos 5 plus beaux modèles actuellement sont :
- Porsche Carrera GT : l’une des 1270 supercar hors normes de chez Porsche
- McLaren Senna : l’une des 500 au monde qui est en plus équipée de la carrosserie totalement carbone apparent.
- Ferrari 599 SA Aperta : l’une des 80 au monde. La 250 GT California des temps modernes
- Aston Martin GT12 : l’une des 100 au monde. Voiture totalement méconnue mais l’un des produits les plus exaltants à rouler.
Ferrari 599 GTO : l’une des 599 au monde dans une très rare livrée “inspiration”. » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
III. Vision long terme & exclusivité
L’hybridation et l’électrification sont en marche, même chez Ferrari ou Lamborghini.
10 – Comment vous projetez-vous face à cette transformation technologique qui bouscule l’ADN du moteur thermique d’exception ?
« Les constructeurs subissent cette politique européenne et y vont à reculons. Ils sont obligés de s’adapter tout en n’y croyant pas. Nous voyons d’ailleurs dernièrement des retours en arrière politiques sur certains sujets. Malgré tout, l’hybridation peut être une alternative intéressante sur les produits d’exception. Cela permet d’allier passion, performance, technologie et écologie.
Certains produits comme la Ferrari 296 sont un très bel exemple. Le problème se trouve principalement sur le second marché. Ces voitures subissent une décote
faramineuse car leur mécanique n’est pas considérée “noble” ce qui peut se comprendre techniquement. Il s’agit davantage de produits de grande consommation car les constructeurs ont considérablement augmenté leurs productions. La marché de l’occasion des véhicules entre 2000 et 2015 se porte donc merveilleusement bien ! » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
L’ouverture de votre capital à Seine Capital marque une véritable inflexion.
11 – Qu’est-ce que l’arrivée d’un fonds change dans votre manière de gouverner et de projeter l’avenir ?
« Cela nous permet de voir plus loin et de construire quelque chose de plus grand. Nous plafonnons à environ 100M€ de CA depuis 3 ans. Nos capacités dans notre premier local sont au maximum tant en termes de nombre de voitures, qu’en place et en nombre de salariés. Si nous voulons grandir, il faut s’étendre sur le territoire français et aller chercher les clients sur leurs terres. Il y a plus de 30 concessions Porsche en France et une dizaine de concessions Ferrari. Pourquoi pas 5 ou 6 Moteur & Sens ?! » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
12 – Quelle direction entendez-vous donner à Moteur & Sens dans les cinq années à venir ?
« L’ambition est de devenir un acteur incontournable de la vente de véhicules haut de gamme d’occasion. Nous mettons en place de nombreux processus comparables à ceux des constructeurs. Souvent même plus poussés. Alors que nous ne construisons pas les voitures ! C’est donc très technique et surtout très coûteux. L’objectif est que les clients ne nous voient plus comme de “simples marchands”. » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
13 – Pour conclure, quelle actualité exclusive pouvez-vous partager avec les lecteurs de The New Siècle ?
« Il y a des actualités tous les jours. Nous venons de passer les 3000 voitures vendues. Notre première antenne d’Aix en Provence est en travaux pour ouvrir en octobre et nous finalisons la négociation de notre futur local de Bordeaux. Nous regardons attentivement des marchés comme la Belgique ou la Suisse. Nous animons de plus en plus notre chaine Youtube afin d’être encore plus transparents et de montrer notre évolution. » – Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert
The New Siècle remercie Pierre-Hervé Ponceau et Silvère Imbert pour avoir répondu favorablement à notre interview et ainsi livrer sa vision et son expérience à nos lecteurs.
Juliette Lamy
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