Alice & Bob : la start-up française qui veut faire disparaître les erreurs quantiques

Fondée en 2020 à Paris, Alice & Bob n’a pas tardé à devenir l’un des chouchous de la nouvelle vague quantique française. Soutenue par Bpifrance, l’Inria, le CNRS et des investisseurs stratégiques, l’entreprise ne manque pas d’ambitions, elle veut tout simplement concevoir le premier ordinateur quantique  au monde sans erreur. Et contrairement à la majorité de ses concurrents qui agrègent des correcteurs d’erreurs autour de qubits imparfaits, Alice & Bob veut traiter le problème à la racine.

Au cœur de leur technologie : les qubits de chat. Cette innovation théorique, longtemps considérée comme trop instable pour des applications concrètes, Alice & Bob ambitionnent de la transformer en réalité industrielle en s’appuyant sur une expertise poussée en physique des champs électromagnétiques, cryogénie et ingénierie quantique. L’objectif est de taille :  rivaliser avec les géants américains, et même court-circuiter certaines de leurs limites structurelles.

Qubits de chat : de la physique théorique à l’innovation stratégique

D’abord, qu’est-ce qu’un qubit de chat (et pas de tchat) ? Il s’agit d’une forme particulière de qubit, construite à partir de la superposition de deux états dits cohérents dans une cavité quantique. Le nom fait référence au paradoxe du chat de Schrödinger. En 1935, le physicien Erwin Schrödinger propose une expérience de pensée restée célèbre : un chat est enfermé dans une boîte avec une fiole de poison et un dispositif déclenché par un atome radioactif qui, s’il se désintègre, tue l’animal. Mais tant que la boîte est fermée, le chat est considéré comme à la fois vivant ou mort, dans l’état quantique, soit dans une superposition d’états.  

Cette particule faisant coexister deux états opposés préfigure une configuration qui permet de réduire considérablement certaines erreurs, notamment celles liées aux retournements de spin, un des obstacles majeurs à la fidélité des opérations quantiques.

Contrairement à un qubit physique standard, le qubit de chat tend à se rapprocher d’un qubit logique, plus stable, et donc plus exploitable dans des calculs complexes. Là où les approches d’IBM ou Google nécessitent des milliers de qubits physiques pour corriger les erreurs d’un seul qubit logique, Alice & Bob assure pouvoir en mobiliser dix fois moins. Une économie substantielle qui pourrait simplifier radicalement l’architecture des futurs ordinateurs quantiques.

En quoi cette technologie est-elle une révolution ?

Ce qui rend les qubits de chat si prometteurs, c’est leur capacité intégrée à corriger certaines erreurs en continu, sans besoin d’une intervention externe. En jouant sur la symétrie de l’information encodée dans la cavité quantique, ils permettent de détecter et corriger certains types de perturbations automatiquement. Une prouesse pour les spécialistes.

En février 2024, Alice & Bob a annoncé une avancée majeure : la mise en œuvre d’un qubit de chat ultra-cohérent, capable de maintenir son état pendant plusieurs centaines de microsecondes, avec une correction passive d’erreur intégrée. Une durée qui, en informatique quantique, équivaut à des centaines d’années. Quoi qu’il en soit, la performance n’est pas un simple exploit technique : elle préfigure des circuits logiques plus simples, des algorithmes plus robustes, et à terme, des applications industrielles concrètes.

Quel est l’impact potentiel d’ici 2030 ?

Alice & Bob a un objectif : produire une machine d’ici à la fin de la décennie capable de résoudre des problèmes aujourd’hui inaccessibles aux supercalculateurs classiques. Si la start-up y parvient, le monde entier pourrait bien s’en trouver bouleversé. Car un ordinateur quantique sans erreur ne se contente pas d’être plus rapide, il transforme la nature même du calcul, en rendant possibles des simulations moléculaires, des optimisations industrielles ou des modélisations financières d’une complexité extrême.

Pour la France et pour tout le continent, l’émergence d’un acteur comme Alice & Bob est éminemment stratégique. Dans cette course folle dominée encore à l’heure actuelle par les États-Unis et la Chine, disposer d’une alternative technologique souveraine, capable de relever les défis du calcul quantique à haute échelle, représente un levier d’indépendance technologique exceptionnel. L’intégration potentielle de cette technologie dans les programmes du plan France 2030 ou dans des infrastructures de cloud quantique renforce encore cette perspective.

Alice & Bob face aux géants du quantique

Face à des mastodontes comme Google ou IBM, qui disposent de moyens humains et financiers colossaux, Alice & Bob mise sur la précision et la spécialisation. Là où les GAFAM visent des architectures universelles, parfois hybrides, la start-up française se concentre sur un chemin technologique cohérent, optimisé pour la correction d’erreur dès le niveau matériel.

La stratégie d’Alice & Bob repose ainsi sur une verticalisation complète : maîtrise de la conception des cavités, fabrication interne des composants, développement de logiciels de contrôle spécifiques… Un modèle intégré qui permet des itérations rapides, et qui séduit de plus en plus de partenaires académiques et industriels.

En janvier 2025, l’entreprise a par ailleurs ouvert un nouveau laboratoire en région parisienne, équipé d’un cryostat de dernière génération, pour accélérer la mise au point de ses prochaines puces. À cela s’ajoute un partenariat stratégique avec une grande banque française pour explorer les cas d’usage quantique en finance, preuve que la deep tech française peut aussi s’imposer sur des verticales applicatives.

La promesse d’un futur quantique maîtrisé

En seulement quelques années, Alice & Bob a fait souffler un vent de fraîcheur sur la scène quantique européenne. Avec ses qubits de chat, elle offre une solution à la fois raffinée sur le plan théorique et robuste sur le plan technique au problème crucial de la correction d’erreur, le tout sans dépendre d’une inflation matérielle démesurée.

Dans un secteur en pleine effervescence, où les promesses sont parfois plus rapides que les preuves, cette approche rigoureuse pourrait bien faire la différence. Si les prochaines étapes de validation expérimentale se confirment, l’ordinateur quantique sans erreur pourrait ne plus relever du fantasme… mais bien d’un futur proche. Et ce futur pourrait, pour une fois, parler français

Nom d'auteur Raphaël Pintart
Raphaël Pintart est rédacteur et journaliste de formation, titulaire d’un diplôme en lettres. Il a débuté sa carrière à la télévision — notamment chez Canal+ et TV5 Monde — avant de prêter sa plume à plusieurs rédactions telles que Le Figaro, L’Obs, Cnet ou 20 Minutes. Curieux des transformations culturelles, sociétales, politiques et technologiques, il cultive une approche éditoriale entre exigence intellectuelle et goût prononcé pour les angles inattendus.
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