Dans cette interview exclusive, The New Siècle a échangé avec Matthieu Lamoure autour de son art de mettre en scène les enchères, de la singularité d’Artcurial Motorcars, de la montée en puissance de la maison face aux géants internationaux, de l’irruption du digital, de l’internationalisation des ventes… et de l’avenir des voitures de collection à l’heure du rétrofit.

I. Une vision singulière des enchères automobiles

Face aux mastodontes anglo-saxons des enchères (Bonhams, Gooding, RM Sotheby’s), Artcurial Motorcars s’est imposée comme leader européen, avec 4 200 véhicules vendus pour un total de 460 millions d’euros en dix ans.

1 – Qu’est-ce qui, selon vous, différencie votre approche et a permis à Artcurial de s’imposer dans un écosystème aussi disputé ?

« Quand j’ai repris le département fondé par Hervé Poulain, il y avait déjà un héritage très fort. C’est lui qui a lancé en France le marché de l’automobile de collection, dès les années 70, en créant notamment les Art Cars de BMW. Cette légitimité historique, nous l’avons prolongée et modernisée. Avec mon équipe, à partir de 2010, nous avons repensé le marketing, les catalogues, la photographie, et surtout les lieux de vente. Nous avons quitté le Palais des Congrès pour nous associer à des événements phares comme Le Mans Classic ou Rétromobile. L’idée était claire : ouvrir le département à l’international et attirer des vendeurs venus du monde entier, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Un moment décisif a été la vente de la collection Baillon en 2015, présentée comme la « sortie de grange du siècle » avec des modèles mythiques, dont une Ferrari 250 California châssis court ayant appartenu à Alain Delon. Ce fut un coup de projecteur planétaire. Depuis, nous avons confirmé notre place en vendant des automobiles iconiques, comme la Ferrari 335 S adjugée 35 millions d’euros. Ce qui fait la différence, c’est ce souci du détail historique, de la recherche documentaire poussée, qui met les acheteurs en confiance, notamment les étrangers. Avec une équipe resserrée, mais une approche rigoureuse et une communication internationale, nous avons atteint le niveau des grandes maisons anglo-saxonnes. » – Matthieu Lamoure

On vous retrouve aussi régulièrement dans l’émission Automoto sur TF1. Une autre façon de partager votre univers, bien au-delà des ventes aux enchères.

2 – Qu’est-ce que cette vitrine médiatique vous apporte, à vous et à Artcurial ?

« Oui, depuis quatre ans, j’ai la chance de partager ma passion une fois par mois dans Automoto. Avec Nicolas Schumacher, nous choisissons nous-mêmes les sujets : visites de collections, histoires de marques, modèles emblématiques… C’est une vitrine extraordinaire qui permet de parler à un million et demi de téléspectateurs chaque dimanche. L’exercice m’amuse, j’ai toujours aimé la caméra, mais surtout il me permet de transmettre cette passion et d’ouvrir des portes de collections privées à un public très large, des novices comme des connaisseurs.

Pour Artcurial, c’est une question de visibilité. Cette présence régulière renforce notre notoriété et crée parfois des opportunités directes : un téléspectateur m’a un jour appelé après m’avoir vu à l’écran pour me confier sa Lamborghini Miura. Cela illustre bien l’impact : une médiatisation qui dépasse la salle des ventes et qui met en lumière, d’une autre manière, notre expertise et notre légitimité. » – Matthieu Lamoure

Vous avez cette capacité à animer la salle et à insuffler une énergie particulière lors des ventes, offrant un « spectacle » autant qu’une vente aux enchères.

3 – Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans l’exercice du marteau ?

« C’est le spectacle, effectivement. On est là pour défendre les objets qui nous sont confiés, pour les vendre le plus cher possible. C’est notre mission, c’est la raison pour laquelle nous sommes mandatés. Dans certains cas, des familles nous confient une partie de leur vie. Je pense par exemple à la collection Baillon, c’était la majeure partie d’un héritage, et si nous avions mal vendu, cela aurait changé le cours de cette succession. Les vendeurs nous confient leur patrimoine et notre rôle est de le défendre au maximum.

Le spectacle, c’est l’aboutissement de tout ce travail de plusieurs mois : les voyages, les rencontres, la préparation de la vente. C’est le moment où acheteurs, vendeurs et commissaire-priseur se retrouvent. Les acheteurs veulent souvent faire une bonne affaire, mais notre rôle est de les motiver pour tirer le maximum, dans l’intérêt des vendeurs. Et pour cela, il faut créer un moment dont chacun se souviendra : spectaculaire, enlevé, avec de l’humour, de la tension, des émotions fortes. C’est cette énergie que j’aime transmettre au public, et c’est ce qui fait notre différence avec les anglo-saxons, où l’exercice est beaucoup moins spectaculaire. » – Matthieu Lamoure

II. Un marché en mutation, entre digital et internation

Le nombre de voitures de collection proposées aux enchères a bondi de 90 % entre 2019 et 2023, porté par l’essor des plateformes de ventes en ligne. Dans le même temps, le taux de vente a légèrement fléchi, signe d’acheteurs plus sélectifs.

4 – Comment Artcurial Motorcars s’adapte à la digitalisation du marché et à la concurrence de ces nouvelles plateformes en ligne ?

« Quand on achète une automobile, un véritable objet de passion, on doit se souvenir du jour, des émotions ressenties quand on a réussi à acquérir l’objet. C’est valable pour une voiture, mais aussi pour un tableau de maître, un mobilier, un objet d’art. Vous me trouverez peut-être un peu à l’ancienne, mais je suis convaincu que les ventes physiques continueront pour cette raison, ce moment unique, cette symphonie entre vendeurs, acheteurs, commissaire-priseur et public. Il y a cette part de spectacle qui n’existe pas en ligne.

Les ventes digitales, elles, fonctionnent correctement. Mais je pense que certaines voitures se vendraient mieux en salle. Nous avons besoin du lien humain, de partager, de discuter, d’entendre l’avis des autres. Personnellement, acheter une voiture sur internet sans la voir, ce n’est pas possible. J’ai besoin de la regarder, de tourner autour. Sur internet, il faut se fier aux photos et à l’historique, mais je trouve ça impersonnel, sans saveur. Pour des voitures à 10 000 euros, oui, ça marche. Mais au-dessus de 100 000 euros, je ne suis pas certain que ce soit aussi efficace… » – Matthieu Lamoure

Le marché américain attire de plus en plus de maisons européennes. Vous préparez d’ailleurs une première vente outre-Atlantique.

5 – Quelles ambitions nourrissez-vous avec cette ouverture internationale ?

« Effectivement, j’ai envie de prendre le virage de l’international et d’organiser des ventes aux enchères aux États-Unis. Fin de l’année prochaine, nous allons organiser une vente là-bas pour la première fois. On dévoilera exactement le lieu et la date prochainement. Normalement, ce sera à New York, en novembre 2026.

Le marché est très fort là-bas. Il y a beaucoup de vendeurs, beaucoup de voitures. Les Américains connaissent parfaitement le système des enchères. Je pense que notre technique de vente, nos particularités, apporteront quelque chose de nouveau. Beaucoup d’Américains aiment l’Europe, la France, et nous avons déjà de nombreux clients acheteurs. » – Matthieu Lamoure

En 2020, vous confiiez au Figaro avoir un regret, c’était “de ne pas arriver à retenir les très grosses pièces” en Europe.

6 – Est-ce toujours le cas cinq ans après ? 

« Non, non, non, parce qu’en Europe, il existe des collections très importantes qui n’ont pas à rougir face aux collections américaines. Et puis, certaines voitures reviennent, elles sont achetées aux États-Unis et repartent ensuite vers l’Europe. Donc je ne suis plus aussi catégorique qu’il y a cinq ans.

Il faut savoir que dans nos ventes, environ 75 à 80 % des voitures partent à l’étranger. Mais la France représente tout de même 20 à 25 % des acheteurs, ce qui est considérable à l’échelle mondiale. Il y a donc pas mal de voitures qui restent, même si, en général, ce sont des modèles en dessous de 500 000 euros. » – Matthieu Lamoure

III. L’avenir du patrimoine roulant

Vous avez vu défiler sous votre marteau des modèles parmi les plus mythiques, de la 2CV à la Ferrari 335 S en passant par la légendaire collection Baillon.

7 – Y a-t-il encore des modèles que vous rêveriez de voir un jour aux enchères chez Artcurial ?

« Oui, bien sûr, les voitures mythiques de l’histoire de l’automobile. Je suis né en 1975, donc toute la génération des voitures de course des années 80, du supertourisme… Ce n’est pas forcément une question de prix, mais évidemment, en tant que maison de ventes, on a toujours envie d’atteindre des sommets avec des modèles qui valent plusieurs dizaines de millions. Je ne vais pas le nier. On rêve de créer ces moments de spectacle avec des batailles d’enchères sur des Ferrari ou des Mercedes de course, qui sont en général les autos les plus chères… et qui me passionnent. 

Mais j’aime tout autant les voitures de grand tourisme, les Young Timers, et je trouverais formidable de voir un jour passer aux enchères une Peugeot 205 GTI ou d’autres icônes des années 80-90. Et puis il y a ce rêve de revivre une aventure comme celle de la collection Baillon. C’était un moment inoubliable, pour nous comme pour le monde de l’automobile, avec un vrai avant et après. Redécouvrir une nouvelle collection sortie de grange, perdue depuis des décennies et révélée au grand jour, ce serait un merveilleux moment. » – Matthieu Lamoure

Le monde des collectionneurs doit désormais composer avec de nouvelles préoccupations environnementales, notamment avec plus de motorisations électriques.

8 – Que pensez-vous de ces projets de conversion électrique sur des véhicules de collection, comme le rétrofit  ?

« Pourquoi pas pour des voitures produites en grand nombre. Si l’on transforme une Mini ancienne en Mini électrique pour rouler à Paris ou en ville, ça ne me choque pas. Ce ne sont pas des modèles rares. En revanche, convertir à l’électrique une voiture de collection unique, ce serait une grave erreur pour le patrimoine. Elle ne serait plus fidèle à sa configuration d’origine et, sur le plan historique, ce serait dommageable. Maintenant, si un propriétaire de Rolls des années 70 veut rouler tous les jours dans Paris avec un moteur électrique, pourquoi pas. Chacun fait ce qu’il veut avec son auto, et je trouve ça plutôt sympathique.

Mais je pense que l’électrique est une solution passagère, et même, à mes yeux, un mensonge politique. Construire puis détruire une voiture électrique a un impact carbone énorme. Les vrais écologistes, ce sont les collectionneurs : ils entretiennent leur patrimoine, ils le font rouler, et une voiture ancienne ne disparaît pas. Ce qui pèse sur l’environnement, c’est la fabrication et la destruction, pas la durée de vie. C’est ce paramètre qu’on oublie trop souvent, alors qu’il est fondamental. » – Matthieu Lamoure

The New Siècle remercie Matthieu Lamoure pour avoir répondu favorablement à notre interview et ainsi livrer sa vision et son expérience à nos lecteurs.

Nom d'auteur Juliette Lamy
Juliette Lamy a fait ses armes dans l’audiovisuel puis à la rédaction de Gala.fr et Webedia. Au sein de The New Siècle, elle orchestre les formats exclusifs : Interview, 1 Min Chrono, Le Versus et Entretien avec l’IA. Quelle que soit la thématique, intelligence artificielle, innovations, gaming, elle traque toujours l’intention. Ce que cela change. Pour qui, et pourquoi. Ses phrases, souvent courtes et rythmées, sont sa signature intellectuelle.
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