
Interview : Julien Cheyssial – Co-fondateur de Meilleurs agents
Julien Cheyssial est l’un des pionniers de la PropTech en France. En 2008, il co-fonde Meilleurs Agents avec Sébastien de Lafond et Jordan Sanial, plateforme d’estimation immobilière en ligne née du simple constat que le marché de l’immobilier manque de transparence. Lancée à la veille de la crise des subprimes, la start-up a connu quelques turbulences, mais le succès fut finalement au rendez-vous. Elle s’impose progressivement comme un acteur clé, au point d’être rachetée en 2019 par le groupe Axel Springer (AVIV) pour 200 millions d’euros. Cinq ans après cette réussite, Julien Cheyssial, aux côtés d’anciens associés, s’est lancé un nouveau défi avec Edumapper, une plateforme dans le domaine de l’orientation des étudiants.
Dans cet entretien exclusif, The New Siècle a questionné Julien Cheyssial sur les choix technologiques qui ont façonné Meilleurs Agents, l’équilibre trouvé entre confiance des particuliers et concurrences des agences, les secousses traversées en chemin, puis la cession à Axel Springer comme levier de changement d’échelle. Il revient aussi sur Edumapper, sa nouvelle aventure dans l’edtech, où il entend réinventer l’orientation scolaire grâce à la data.
I. Briques fondatrices : construire une plateforme de rupture
Vous avez capitalisé sur des technologies, émergentes à l’époque, pour fiabiliser les estimations en ligne.
1 – De quelles façons la data et les algorithmes ont-ils révolutionné l’estimation immobilière de Meilleurs Agents ?
« Dans l’immobilier, on est dans ce qu’on appelle un contexte d’information rare : il n’y a en moyenne qu’une transaction tous les 2 ans par immeuble à Paris ! Par conséquent, malgré l’accès aux données brutes des Notaires, produire une estimation du prix du m2 pour chaque immeuble demeure un exercice difficile quand on veut produire une information rigoureuse, statistiquement fiable et actualisée tous les mois pour coller aux dernières tendances de marché.
Dès le premier jour, nous avons décidé de massivement investir en sciences, en économétrie et finance immobilière, en algorithmie et machine learning. C’est ce qui nous a permis de transformer ces données brutes (qui sont finalement très difficilement exploitables pour un particulier), en informations fiables, précises et à jour, pour offrir aux particuliers un outil gratuit d’estimation fiable de leur bien immobilier. » – Julien Cheyssial
En quelques années, Meilleurs Agents est devenu incontournable, attirant dès 2015 plus d’1,2 million de visiteurs uniques par mois, générant des dizaines de milliers d’estimations mensuelles et collaborant avec plus de 12 000 agences immobilières.
2 – Comment expliquez-vous un tel engouement du public, dans un secteur où les particuliers se fiaient historiquement aux agences traditionnelles de quartier ?
« Tout à fait, traditionnellement, les agents immobiliers font partie des premiers réflexes des particuliers pour obtenir une évaluation de leur bien immobilier. S’ils sont perçus comme les experts locaux connaissant bien le marché, les agents souffrent en revanche d’un déficit de confiance de la part des particuliers ; entre les évaluations trop flatteuses dans l’objectif d’obtenir un mandat de vente ou un démarchage trop « agressif », les vendeurs ont tendance à solliciter les agences tout en leur « masquant » leur projet de vente.
La possibilité, alors nouvelle, d’obtenir gratuitement une estimation fiable et en quelques clics a tout de suite remporté un franc succès. Un chiffre pour témoigner de cet engouement : +60 % des propriétaires vendeurs estiment d’abord leur bien immobilier sur Meilleurs Agents avant de le mettre en vente. Ce chiffre atteint +80 % à Paris. » – Julien Cheyssial
Dès sa création, Meilleurs Agents faisait déjà face à d’autres startups concurrentes comme Drimki ou Efficity, sans compter les géants des annonces type SeLoger ou Leboncoin.
3 – Qu’est-ce qui a permis à Meilleurs Agents de se démarquer durablement dans un milieu aussi concurrentiel ?
« Effectivement, nous avions de la concurrence, car il est assez facile de faire un site qui publie des informations de prix immobiliers qui font illusion. Il est en revanche bien plus difficile de gagner la confiance des particuliers. Nos investissements conséquents en science et en data, dès le premier jour, nous ont permis de nous démarquer des autres sites par la qualité et fiabilité de nos outils et de s’imposer, au bout de quelques années, comme la référence en matière de prix immobiliers et d’estimation en ligne.
Je crois aussi que l’interface que nous avons conçue, notamment la carte des prix au m2, était la plus intuitive et réussie du marché. Ajoutez à cela une stratégie de communication et RP bien pensée, notamment via la publication mensuelle d’un baromètre de suivi de l’évolution des prix de l’immobiliers, couplée à une forte présence en référencement naturel (SEO), et vous avez là les éléments clés qui ont fait le succès et la notoriété de Meilleurs Agents auprès du grand public. » – Julien Cheyssial
II. Grandir sans brûler les étapes
Meilleurs Agents propose un service gratuit pour les particuliers, mais monétise son audience auprès des agences via des abonnements et des leads qualifiés.
4 – Comment avez-vous trouvé le bon équilibre entre gratuité grand public et monétisation B2B ?
« Nous avons commencé en qualifiant les leads vendeurs qui venaient sur notre plateforme et en les référant auprès de notre sélection d’agences immobilières triées sur le volet (d’où le nom « Meilleurs Agents »), un peu comme le guide Michelin identifie les meilleurs restaurants. Nous avions pré-négocié la commission des agences en la réduisant à 4% (contre 5% traditionnellement) pour les particuliers, et les agences nous rétrocédaient une partie de leur commission une fois la vente réalisée. Sauf que ce modèle était difficile à opérer et difficilement scalable.
C’est en 2015 que nous avons opéré un changement majeur, en sortant du modèle discriminant de sélection des agences qui bridait notre croissance, et que nous avons ouvert les portes de notre plateforme à toutes les agences, tout en créant les conditions de la transparence pour permettre aux particuliers d’identifier et de sélectionner l’agence immobilière la plus adaptée pour vendre leur bien. C’est à ce moment-là que nous avons basculé vers un modèle d’abonnement payant pour les agences en échange de visibilité et que nous sommes passés de 1 000 agences clientes à un peu plus de 12 000. » – Julien Cheyssial
Au total, Meilleurs Agents a levé environ 14 millions d’euros sur l’ensemble de son parcours, un financement relativement modeste comparé à d’autres startups, avant d’atteindre une valorisation de 200 millions lors de sa sortie.
5 – Comment êtes-vous parvenu à cet effet de levier ?
« C’est vrai qu’en regardant dans le rétroviseur, 14 millions d’euros cumulés sur 4 levées, ça n’est pas beaucoup comparé aux levées observées dans la French Tech ces dernières années. Mais il faut se remettre dans le contexte. Nous sommes une cohorte assez ancienne et avons créé Meilleurs Agents en 2008, en pleine crise financière et des subprimes. Les conditions de marché étaient très compliquées et l’écosystème en matière de financement était moins développé et abondant qu’il ne l’est aujourd’hui.
Mais au final, c’était plutôt une bonne chose car avec des ressources financières « limitées », vous vous devez d’être frugal, d’avoir une bonne rigueur en matière de gestion d’entreprise, de dépenser/investir chaque euro de manière réfléchie, d’être créatif et malin pour trouver des solutions efficaces à moindres coûts. Cela dit, cela facilite aussi les possibilités de sortie et d’offrir à tous (fondateurs, business angels et fonds) de réaliser un beau multiple lors de la cession. » – Julien Cheyssial
III. Du succès de Meilleurs Agents à Edumapper
En 2024, vous co-fondez Edumapper pour aider les lycéens à mieux s’orienter. Un an plus tard, vous levez 5 millions d’euros auprès de Daphni, Eurazeo, Kima et Ring Capital.
6 – À quoi ce financement va-t-il servir concrètement dans les 12 à 18 mois ?
« Cette levée va nous permettre de recruter et constituer l’équipe nécessaire pour construire et proposer aux lycéens et étudiants les meilleurs outils pour bien s’orienter dans leurs études supérieures.
Nous recrutons notamment toutes les compétences nécessaires (software engineers, data engineers, data scientists, designers, etc.) pour concevoir, développer et faire connaître la plateforme de référence sur toutes les questions d’orientation. Même si nous souhaitons aller le plus vite possible, nous savons aussi que cela va prendre un peu de temps pour devenir la référence auprès des lycéens. » – Julien Cheyssial
Edumapper est gratuit pour les élèves, ce sont les établissements qui paient pour être visibles.
8 – Comment comptez-vous préserver cette gratuité sur le long terme ?
« La gratuité pour les étudiants et leurs parents est un impératif, notamment pour rétablir une forme d’égalité en matière d’accès à l’information. Et à l’instar de ce que nous avons fait dans l’immobilier avec Meilleurs Agents, nous voulons apporter la plus grande transparence sur le secteur de l’enseignement supérieur, avec un modèle gratuit pour les élèves et payant pour les professionnels du secteur : les établissements scolaires.
Mais attention, avec un modèle économique intègre : pas de vente de lead au plus offrant, ou de classement biaisé ou altéré par une relation commerciale, comme c’était le cas pour Meilleurs Agents. » – Julien Cheyssial
The New Siècle remercie Julien Cheyssial d’avoir répondu favorablement à notre interview et ainsi livrer sa vision et son expérience à nos lecteurs.

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