
Récit d’une table chez Lucas Carton où l’étoile se passe de grands mots…
Lucas Carton appartient à ces maisons parisiennes que rien ne détourne de leur trajectoire. L’adresse s’impose au fil des décennies dans un décor Art nouveau classé monument historique, cadre rare où chaque détail raconte la permanence du lieu. Plus d’un siècle d’exigence y circule et cette constance nourrit une réputation construite dans la durée. Et lorsque le chef Alain Senderens décide de rendre ses étoiles du Guide Michelin, le geste n’a rien d’anodin. Il traduit la volonté de libérer la maison d’un cadre qui ne correspond plus à sa vision. Si le pari aurait pu fragiliser l’image du restaurant, il renforce pourtant son identité, portée aujourd’hui par le chef Hugo Bourny… The New Siècle s’attable chez Lucas Carton, l’une des grandes adresses de la capitale.
Le choix de se retirer du système Michelin : rupture ou repositionnement ?
En 2005, le destin de Lucas Carton prend une tournure singulière. Son propriétaire, Alain Senderens, figure emblématique de la Nouvelle Cuisine, prend une décision aussi surprenante que fracassante : il renonce à ses étoiles. En effet, il fait une demande spéciale au guide rouge, celle de ne plus lui attribuer ses trois étoiles. Il se débarrasse du Graal, d’une récompense rare et si convoitée. Le milieu feutré de la gastronomie française voit en cette demande une rupture.

Pourtant, cette décision est la suite logique d’une mûre réflexion. Pour le restaurant, le but est de se détourner d’un luxe excessif pour alléger l’offre. Cela passe par un changement de nom, puisque Lucas Carton devient Senderens la même année (avant de retrouver sa première appellation, en 2016, à la suite de la disparition du célèbre chef). Il ne faut donc pas y voir un coup de tête, plutôt une décision réfléchie. Et même, un acte de courage et de lucidité. Le propriétaire de Lucas Carton est conscient des excès du système gastronomique de l’époque. Alors, plutôt que de participer à sa sclérose, il exprime la volonté de s’affranchir des pressions et du diktat, refusant la course à la troisième étoile.

Contrairement au Louis XV d’Alain Ducasse, gardien d’un faste méditerranéen et d’un mythe durable, Lucas Carton choisit une voie plus sobre où la grandeur s’exprime dans la retenue. Ce geste audacieux est l’incarnation d’une quête d’authenticité de la gastronomie contre la grandiloquence.
Lucas Carton, une volonté de repenser l’expérience gastronomique
En s’éloignant du système habituel de notation, le restaurant se réinvente. Alors que les clients pouvaient dépenser plus de 300 euros pour un repas, la nouvelle formule propose des prix plus intéressants autour de 100 euros. Une nouvelle clientèle peut donc profiter d’un service d’exception et d’une expérience repensée pour valoriser l’essentiel : le goût. Cette baisse des prix n’empêche pas la maison de conserver son statut de restaurant d’exception. La carte, plus courte, valorise la cuisine de saison et en finit avec les menus protocolaires. Pour Alain Senderens, le but n’était pas de sacrifier le luxe mais de le rendre plus sincère, c’est pour cela qu’il a décidé de s’émanciper du poids des conventions.

Cette philosophie continue de guider la maison lorsque Hugo Bourny reprend les commandes en 2021. Le chef modernise les assiettes avec une cuisine plus végétale tout en restant fidèle à l’âme du lieu. On découvre des entrées pleines d’élégance comme l’asperge verte marinée à la Chartreuse ou la betterave relevée par les baies de Manakara. Il imagine aussi des menus entiers consacrés à des plantes aromatiques rares, du géranium rosat à la menthe poivrée de Milly la Forêt ou à la sauge de Somalie, dans une interprétation qui sublime la nature.

Lucas Carton reste ainsi un établissement qui maintient l’excellence par la sélection des produits et la précision de l’exécution. Cette sensibilité et ce travail d’orfèvre lui valent, en 2025, une étoile au guide Michelin. La distinction ne contredit pas la vision d’Alain Senderens, elle vient simplement reconnaître la force d’une maison qui continue d’avancer avec sa propre logique et affirme son identité avec un regard contemporain.
Quand Lucas Carton transforme un choix en stratégie
Plus qu’un coup de tête ou qu’une manœuvre marketing pour toucher un nouveau public, le refus de l’étoile se révèle, avec recul, comme un repositionnement brillant dans un marché qui doit gérer une mutation. Avant d’autres, le restaurant a compris les besoins et envies de la clientèle contemporaine : elle boude l’opulence, recherche la valeur réelle.

Le restaurant opte donc pour un luxe gastronomique discret et intemporel, sans artifice ni démonstrations baroques. Se détourner de la course aux étoiles permet de gagner en singularité et en liberté. Ce choix devient alors un marqueur d’indépendance qui, dès 2005, anticipait les attentes des clients vers une consommation plus juste et vraie. La marque continue de capitaliser sur la beauté de son lieu et de son prestige. Mais ce dernier, elle ne l’obtient plus grâce à la notation du Guide Michelin, tout repose sur la qualité de l’expérience.
Chez Lucas Carton, l’étoile n’est ni un trophée ni un étendard. La maison avance sans emphase et suit l’idée d’une table portée par une cuisine en phase avec son époque et par un chef qui trace sa route avec clarté. Cette constance montre qu’un grand restaurant n’a pas besoin d’artifices pour rester vivant. Il lui suffit d’assumer son identité et de s’appuyer sur une équipe qui connaît sa direction. Lucas Carton poursuit cette voie avec une élégance qui traverse les époques, et c’est justement là que réside sa force.
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