
Le diamant de laboratoire peut-il séduire le client luxe ?
Si certains imaginent encore les pierres synthétiques cantonnées aux laboratoires, l’époque donne une autre lecture. Depuis quelques dizaines d’années, le diamant de laboratoire a pris place dans les vitrines de grandes maisons, adopté par une génération qui cherche autant l’éclat que la cohérence écologique. Une question se pose pourtant. Ce cristal cultivé sous haute pression ou par dépôt chimique peut-il réellement conquérir l’imaginaire du luxe, où l’aura de rareté et l’attachement au mythe minéral semblent indétrônables ? The New Siècle s’est intéressé à cette percée en filigrane…
Un frisson minéral dans la joaillerie contemporaine
Le premier diamant cultivé en laboratoire voit le jour chez General Electric aux États-Unis, en 1954. L’objectif ne relevait alors pas de la joaillerie… mais de l’industrie : produire une pierre plus dure que l’acier pour les outils de coupe et les applications électroniques. La haute bijouterie a dû patienter car ce n’est qu’avec le dépôt chimique en phase vapeur, perfectionné dans les années 2000, que des gemmes suffisamment pures pour orner un solitaire ont commencé à faire surface.

Soixante-dix ans plus tard, le diamant de laboratoire a pris ses quartiers. En 2025, il représente déjà près de 20 % du marché mondial des bijoux en diamants, contre moins de 1 % il y a dix ans. Tour de force… La valeur se situe entre 22 et 25 milliards d’euros, un ordre de grandeur qui témoigne de la vitesse de progression. L’Asie-Pacifique fait la course en tête avec plus d’un tiers du marché (33,17 % en 2023), portée par la Chine et l’Inde. L’Amérique du Nord suit dans la foulée avec une demande soutenue, puis vient l’Europe, plus lente à s’adapter mais très attentive aux promesses de durabilité.
Prada, Courbet, Fred, TAG Heuer… Les maisons ouvrent la voie
Chez Prada, le laboratoire est entré par la grande porte. En 2023, la maison italienne a présenté sa première collection de haute joaillerie avec or recyclé… et diamants cultivés, taillés selon une forme géométrique appelée « Prada Cut » (inspirée du logo de la maison). L’or et les diamants sont tracés par la blockchain, certifiant un luxe durable. Pour Prada, cette incursion s’inscrit dans la dynamique du « Sustainable Diamond Collection », une ligne pensée comme un pont entre créativité et responsabilité.
Courbet a fait du diamant cultivé son unique matière première. La maison revendique un « 5ème C » qui vient s’ajouter aux critères traditionnels de taille, couleur, pureté et carat. Ce cinquième C, c’est la Conscience, bannière qui structure son branding éco responsable. Elle impose sa grammaire propre, mêlant diamants cultivés à l’énergie renouvelable et or recyclé. Côté prix, un simple solitaire Origine en or recyclé avec diamant de laboratoire peut démarrer autour de 1 200 €.

Maison fondée en 1936 et intégrée au groupe LVMH, Fred explore quant à elle la voie de la couleur. Pari osé. En 2023, elle a dévoilé des créations ornées de diamants de laboratoire bleus. Un choix à l’audace certaine qui ouvre la palette des possibles et bouscule les codes classiques de la gemme incolore. Certaines de ces pièces haut de gamme atteignent environ près de 500 000 €.
Avec la Carrera Plasma lancée en 2022 (comptez environ 500 000 francs suisses à son lancement), TAG Heuer a relevé le défi de l’horlogerie. La marque a intégré des diamants de laboratoire directement dans le boîtier, les cornes et le cadran. Chaque pierre a été cultivée sur mesure pour s’ajuster à la géométrie de la montre. Une première mondiale, qui montre bien la flexibilité de la technologie CVD (Dépôt Chimique en phase Vapeur).
Le diamant de laboratoire brille au nom de la transparence
Même éclat, même structure atomique… À l’œil nu, le diamant cultivé se confond avec son cousin extrait des mines. Son prix séduit, souvent 40 à 60 % sous les tarifs miniers (variables selon taille, couleur, carat). Cette accessibilité ouvre un marché inexploré et les projections donnent le vertige. Entre 60 et 95 milliards d’euros attendus d’ici 2035, avec une progression annuelle qui frôle les 14 % sur dix ans. Cette ascension puise dans plusieurs sources : l’exigence éthique, les perfectionnements techniques qui polissent chaque pierre, sans compter les bonds technologiques dans les semi-conducteurs et la microélectronique (secteurs gourmands en diamants de synthèse).

Autre moteur de cette croissance… les diamants « sans conflit » attirent particulièrement l’attention des millennials et de la génération Z. Ces générations s’informent et scrutent l’empreinte environnementale. Mines béantes, sols ravagés, eaux souillées, populations déracinées… Le constat alarmant de la réalité les pousse vers des alternatives plus vertueuses (même si le débat sur l’empreinte énergétique des laboratoires reste ouvert).
Le prestige de la rareté et l’épreuve de la revente
Pourtant le diamant naturel fait de la résistance, gardant l’essentiel du marché avec environ 80 % de la valeur totale. Du gisement à la vitrine, ce minéral nourrit un prestige qui pèse encore très lourd (surtout dans les choix des collectionneurs). On parle d’un patrimoine transmis comme un héritage, avec tout ce que cela suppose de poids symbolique. Et sur le marché secondaire, les prix montent régulièrement, portés par ce prestige ancien qui semble inusable.

Revers de la médaille, un bijou serti de diamants cultivés, lui, ne retrouve guère sa valeur d’achat. Entre 30 et 50 % du prix d’achat seulement lors de la revente. Alors, pour celui qui cède, la perte se ressent vite. Les salles de ventes le confirment, certains lots atteignent quelques milliers d’euros (même avec plusieurs carats au compteur). L’abondance explique cette érosion. Ces diamants sortent de chaînes où la production s’intensifie et où les coûts se réduisent saison après saison, un flux régulier qui finit forcément par peser sur les prix, comme une marée qui rabat inlassablement les valeurs affichées.
Deux logiques s’affrontent. L’une mise sur la rareté géologique, l’autre sur la cohérence contemporaine. Entre elles… une guerre froide du prestige où chaque camp défend son territoire. L’issue se dessinera dans les choix croisés entre maisons et clients. Car la vraie interrogation dépasse la technique pour toucher l’émotion. Un diamant cultivé peut porter l’histoire d’un engagement, séduire une génération qui refuse les compromis. Mais saura-t-il un jour réellement rivaliser avec l’aura millénaire d’une gemme arrachée aux entrailles de la Terre ?

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