Quand l’alchimie croise les neutrons

Tout commence par un isotope, le mercure-198. Exposé à la pluie de neutrons issus de la réaction deutérium-tritium, l’atome se déséquilibre. Il perd un neutron et change d’identité avant de basculer un instant en mercure-197. Un état fragile qui se résout presque de lui-même, car en l’espace de 64 heures, l’isotope instable se stabilise… et prend le nom d’or-197 (la seule forme d’or présente dans la nature). Une métamorphose invisible à l’œil nu mais porteuse d’espoir.

Cette transformation se joue dans un réacteur à fusion. Autour du plasma brûlant circule ce que l’on appelle dans le jargon scientifique une blanket mercure/lithium. Un fluide dense conçu pour capter cette pluie de particules. Le lithium y nourrit le tritium, carburant vital du cycle, pendant que le mercure absorbe les impacts et déclenche la transmutation. Deux rôles dans un même flux liquide.

Marathon Fusion et la promesse des tonnes d’or

L’entreprise californienne a publié en juillet 2025 une simulation numérique qui fait frissonner autant les scientifiques que les investisseurs. Dans ses modèles, une centrale d’1 GW électrique pourrait générer chaque année près de 5 000 kilos d’or (soit plusieurs tonnes d’or par GW). L’électricité continuerait de sortir du réacteur au même rythme, comme si rien n’avait changé. La transmutation s’ajouterait en parallèle, greffée sur le processus sans en freiner la mécanique. L’énergie serait alors élevée au rang de pilier industriel… et l’or érigé en levier financier. Les investisseurs y voient une sorte de double dividende et les alchimistes une revanche historique, ceux-ci ayant toujours rêvé de transformer le mercure en or.

Derrière la vision, un agenda bien plus stratégique. Fabriquer de l’or au cœur des centrales reviendrait à rentabiliser des installations dont la facture grimpe à plusieurs dizaines de milliards. Le jour où la théorie franchira l’écran des simulations, la fusion nucléaire basculera de simple productrice d’électricité vers un rôle inattendu. Elle deviendrait aussi une mine, avec ses propres flux de métal précieux. Une centrale porterait alors une double identité, usine énergétique d’un côté, gisement financier de l’autre. 

Le revers du métal

En apparence seulement, tout paraît simple… Mais la réalité est toute autre. Car l’or produit sortirait partiellement radioactif, beaucoup trop instable pour rejoindre les coffres des banques ou les vitrines de la joaillerie. Il faudrait patienter entre 14 et 18 ans (le temps que le métal se refroidisse). Pas moins. Le métal jaune attendrait dans l’ombre avant de pouvoir scintiller à la lumière du jour.

Autre détail qui a toute son importance : l’approvisionnement en mercure-198. Cet isotope reste rare, cher… et surtout toxique, soulevant de réelles inquiétudes environnementales. Monter une filière pour l’exploiter impliquerait une logistique complexe, une réglementation serrée et une dose certaine de courage industriel, sans compter des coûts faramineux qu’il faudrait assumer sur plusieurs décennies.

Une équation aux multiples inconnues

Côté réglementaire, le cadre est encore en chantier… Aucun organisme n’a encore fixé de normes sur la vente d’or issu d’une telle transmutation nucléaire. Le simple fait d’introduire sur le marché un métal ayant transité par un cœur de réacteur soulève des questions diplomatiques et commerciales.

Le projet a pourtant trouvé des oreilles attentives. Des agences gouvernementales américaines (notamment le Département de l’Énergie qui a accordé plusieurs millions de dollars de subventions), des fonds privés (qui ont investi plusieurs autres millions de dollars), des chercheurs intrigués et des institutions financières suivent déjà l’affaire de près. Chacun mesure le potentiel… et chacun devine aussi l’ampleur des obstacles. Autant dire que chaque gramme produit entrerait dans un jeu d’influences dépassant largement la sphère scientifique.

Le pari de Marathon Fusion se nourrit d’un mélange subtil, moitié utopie, moitié réalisme. Utopie, parce qu’une pluie d’or issue du nucléaire pourrait fissurer un marché mondial déjà fragile (jusqu’à en secouer les cours). Réalisme, parce que la fusion reste un chantier titanesque suspendu à sa propre maturation. L’allégorie fascine, mais le concret attend encore son heure. Pour l’instant, l’or de demain reste coincé dans les équations, enfermé derrière la vitre d’un laboratoire. Le jour où cette vitre cédera, la fusion changera de visage. Elle livrera son électricité propre… et des tonnes d’or du futur. Un or non arraché aux entrailles de la terre mais jailli du plasma, miroir inattendu d’une écologie paradoxale.

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Nom d'auteur Juliette Lamy
Juliette Lamy a fait ses armes dans l’audiovisuel puis à la rédaction de Gala.fr et Webedia. Au sein de The New Siècle, elle orchestre les formats exclusifs : Interview, 1 Min Chrono, Le Versus et Entretien avec l’IA. Quelle que soit la thématique, intelligence artificielle, innovations, gaming, elle traque toujours l’intention. Ce que cela change. Pour qui, et pourquoi. Ses phrases, souvent courtes et rythmées, sont sa signature intellectuelle.
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