Dans cette interview exclusive, Xavier Thuizat nous livre sa vision d’une sommellerie d’excellence, entre tradition et mutation. Il évoque les défis du marché du vin français, l’importance d’une sélection engagée face au changement climatique, et l’essor des vins durables. De l’Hôtel de Crillon aux cabines d’Air France, il partage également sa volonté de rendre le vin accessible à tous.

I. Le vin vu par un sommelier d’exception

La Loi Évin interdit toute émission type « Top Sommelier » à la télévision, freinant la « starisation » de la profession. À l’inverse, des figures de chefs comme Bocuse ou Etchebest, connus pour arborer le col tricolore des MOF, occupent le devant de la scène.

1 – Comment percevez-vous la reconnaissance du métier de sommelier aujourd’hui ? 

« Aujourd’hui, via la loi Evin, nous ne pouvons pas être exposés autant que les cuisiniers ou les pâtissiers. Néanmoins, le nombre d’amateurs de vin en France grandit et notre devoir est d’expliquer le vin le plus simplement possible en donnant le plus de plaisir aux gens. Les réseaux sociaux sont également un vecteur important de notre notoriété. Le plus important pour nous est de faire rayonner le vin et ceux qui le font. Un sommelier est le messager entre le vigneron et le consommateur. » – Xavier Thuizat

La France boit de moins en moins de vin, surtout chez les jeunes générations. En 2024, la consommation mondiale a chuté à son plus bas niveau depuis 60 ans. Parallèlement émerge un mouvement « low & no alcohol » : la demande en vins à faible teneur en alcool ou sans alcool est en plein essor.

2 – Comment abordez-vous cette évolution de la culture du vin ?

« Aujourd’hui consommer moins d’alcool est devenu une normalité pour la jeune génération. Néanmoins, nous constatons que la consommation d’alcool en France monte, c’est uniquement la consommation du vin qui baisse. La bière et les spiritueux connaissent une progression sans précédent. C’est donc un problème de perception et de désir. Rendons le vin accessible pour refaire naître des vocations !

Je crois également que l’avenir du vin se situe dans les vins plus digestes, plus élégants, avec un peu moins de teneur en alcool. L’Union Européenne vient d’adopter un projet de loi pour donner l’appellation « vin » à des boissons fermentées à base de raisin dès 5,5° d’alcool. Un projet qui en dit long sur les tendances de consommation de demain. » – Xavier Thuizat

En 2023, l’État a débloqué 200 millions d’euros pour distiller d’office 3 millions d’hectolitres de vin invendus, une véritable distillation de crise visant à résorber les excédents, notamment en vins rouges et rosés.

3 – Comment la filière doit-elle s’adapter pour éviter de telles crises de surproduction ?

« Il faut être lucide, la France produit trop de vin. Ces trois dernières années, 10 % de notre surface viticole ont disparu. C’est un drame, mais aussi un signal clair. Il est temps de repenser notre modèle. Produire moins va devenir indispensable, mais surtout, il faut produire mieux.

Aujourd’hui, à peine 20 % du vignoble est cultivé en bio. Nos terres sont épuisées, nos vins manquent d’élan. Il est urgent de mieux soigner les vignes existantes plutôt que d’en planter toujours plus. La course au volume est une impasse. L’avenir passe par la qualité. Cela implique d’adapter nos cultures et nos cépages, avec de nouvelles règles de production : des vins moins alcoolisés, moins tanniques, mais plus vivants, plus vibrants. » – Xavier Thuizat

II. Innover face aux défis climatiques et technologiques

L’Angleterre voit émerger des mousseux comparables à des champagnes, tandis que des vignobles apparaissent en Scandinavie ou en Belgique grâce à des températures plus clémentes. En parallèle, les régions françaises innovent pour s’adapter avec par exemple, des cépages mieux adaptés à la chaleur.

4 – Comment envisagez-vous l’impact du changement climatique sur le vin français dans les prochaines décennies ?

« Il a toujours fait chaud en France, et les millésimes caniculaires ne manquent pas. Les anciens vignerons de Bourgogne en témoigneraient, les années chaudes ne sont pas une nouveauté. Ce qui change aujourd’hui, et qui inquiète vraiment, c’est le dérèglement climatique. Avoir 28 °C en février ou en mars, c’est un vrai problème. La vigne se croit déjà en mai, commence à pousser, puis les gels de printemps viennent anéantir le travail. Les maladies fongiques, comme les champignons, s’en mêlent.

C’est ce désordre climatique qui complique tout, et c’est un phénomène encore récent pour nous. Le dérèglement agit sur plusieurs plans, avec des enjeux multiples. Heureusement, nos scientifiques travaillent activement sur de nouveaux cépages plus résistants, notamment face aux maladies comme le mildiou ou l’oïdium, qui se développent lors de périodes de pluies abondantes. » – Xavier Thuizat

En 2023, 22 % du vignoble français était en bio et les ventes ont dépassé 1,3 milliard d’euros. La biodynamie progresse, les vins nature divisent, mais l’élan vers des vins plus responsables s’affirme.

5 – Vous qui proposez à L’Écrin 100 % de vins au verre issus de cultures raisonnées ou bio, quel regard portez-vous sur l’essor de la viticulture bio et biodynamique ?

« La biodynamie est une évidence si l’on veut exprimer pleinement un lieu. Un vin de terroir naît de vignes dont les racines plongent profondément dans le sol. C’est là qu’elles vont chercher l’âme du lieu, en ramenant dans les raisins les particules moléculaires du sol.

À l’inverse, en viticulture conventionnelle, les traitements phytosanitaires dispensent la vigne de ce travail, les racines restent en surface puisqu’elles trouvent tout ce dont elles ont besoin sans effort. Respecter la nature, c’est aussi penser à long terme. Une viticulture en harmonie avec son environnement permet de préserver le matériel végétal. À l’inverse, les traitements chimiques accélèrent souvent la fatigue des vignes. » – Xavier Thuizat

Entre tradition séculaire et modernité, la filière vin accueille aussi la haute technologie. Des viticulteurs utilisent désormais l’intelligence artificielle pour optimiser la vigne. Côté consommateurs, les applications mobiles et outils digitaux se multiplient.

6 – En tant que sommelier attaché à la transmission humaine et au terroir, comment intégrez-vous les outils digitaux et l’IA dans votre approche du conseil et de la dégustation ?

« Pour le moment, je n’utilise pas du tout l’intelligence artificielle pour les conseils ou la dégustation, car cela reste, selon moi, un domaine profondément émotionnel. C’est d’ailleurs l’une des limites actuelles de l’IA, elle ne parvient pas à restituer cette dimension sensible, si essentielle dans l’univers du vin, et en particulier lors de la dégustation. Un bienfait, sans doute ! » – Xavier Thuizat

III. Transmettre et élargir les horizons du vin

En mai 2024, Air France a fait appel à vos talents pour sublimer l’expérience de voyage de ses clients.

7 – À quelles contraintes avez-vous été confrontés pour réaliser ces cartes ?

« Le principal défi, c’est le volume. Mon rôle consiste à sélectionner de très beaux vins de terroir, mais en quantité suffisante pour répondre aux besoins d’Air France.

Cela dit, je constate avec plaisir que de plus en plus de vignerons se portent candidats. C’est une excellente nouvelle pour le vin servi à bord, car cela élargit considérablement mes possibilités. Être présent en cabine sur les vols Air France reste un véritable honneur pour les vignerons. La compagnie incarne l’élégance à la française, et il est de ma responsabilité de choisir les meilleurs crus pour en refléter le savoir-faire, dans toute sa diversité. » – Xavier Thuizat

Vous avez également réalisé un rêve en ouvrant votre propre établissement en 2022, la Cave Xavier Thuizat située à deux pas des Champs-Élysées.

8 – Quels objectifs visez-vous à travers cette cave et qu’est-ce qui la distingue dans l’offre parisienne ?

« En effet, j’ai eu la chance d’ouvrir cette cave avec un partenaire il y a quelques années, et ce qui m’anime avant tout, c’est de rendre mes découvertes accessibles, avec des prix de caviste ! Ce qui la différencie, c’est l’attention portée à l’offre sans alcool : thés, cafés, cocktails… et une sélection sans alcool absolument incroyable.

Surtout, chaque bouteille présente dans la cave est issue de mes visites, et est le fruit de mes rencontres avec les vignerons. Je raconte l’histoire du vigneron et du lieu, bien plus que celle des arômes, c’est ça, pour moi, le plus important ! » – Xavier Thuizat

Devenir doublement titré et chef sommelier d’une maison prestigieuse fait de vous un exemple pour la jeune génération de sommeliers.

9 – Quels conseils donneriez-vous à un(e) jeune qui souhaite embrasser le métier de sommelier aujourd’hui ?

« Soyez passionné par ce que vous faites, c’est un monde passionnant et envoûtant. Soyez généreux dans l’envie de faire plaisir à vos convives. Et enfin, soyez curieux de toujours vouloir apprendre et de découvrir de nouvelles choses. Restez perméable au changement ! » – Xavier Thuizat

The New Siècle remercie Xavier Thuizat d’avoir répondu à notre interview et ainsi partagé sa vision et son expérience à nos lecteurs.

Nom d'auteur Juliette Lamy
Juliette Lamy a fait ses armes dans l’audiovisuel puis à la rédaction de Gala.fr et Webedia. Au sein de The New Siècle, elle orchestre les formats exclusifs : Interview, 1 Min Chrono, Le Versus et Entretien avec l’IA. Quelle que soit la thématique, intelligence artificielle, innovations, gaming, elle traque toujours l’intention. Ce que cela change. Pour qui, et pourquoi. Ses phrases, souvent courtes et rythmées, sont sa signature intellectuelle.
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