Dans cette interview inédite pour The New Siècle, Taïg Khris revient sur son parcours hors norme, son passage des exploits sportifs aux télécoms, les obstacles franchis sur ce marché verrouillé et la vision qu’il porte pour l’avenir.

I. L’enfance d’un challenger

Vous avez grandi hors du système scolaire traditionnel, sans diplôme. Un parcours rare pour un futur champion et entrepreneur.

1 – Comment cette éducation alternative a-t-elle façonné votre regard sur le monde et votre capacité à prendre des risques ?

« C’était vraiment une éducation incroyable, complètement hors norme. Je suis arrivé en France à cinq ans, après avoir grandi en Crète et en Algérie. Mes parents étaient chirurgiens, mais on vivait sans argent. Ce qui comptait, c’était de faire ce qu’on aimait, pas de suivre un chemin tracé ou de penser à l’avenir.

Ils avaient une confiance totale dans la vie, une confiance presque aveugle. Et quand un enfant grandit avec des parents qui lui font confiance, ça change tout. Ça donne une forme de foi en soi, la certitude que si on poursuit une passion, si on fait ce qu’on aime, ça ira.

Je n’ai jamais été à l’école, donc j’ai dû apprendre autrement, en me débrouillant. Je suis devenu très débrouillard, forcément. J’avais des lacunes, bien sûr, en écriture ou en orthographe, mais j’avais un autre regard, une autre manière de penser. Et cette vision-là, cette capacité à avancer sans cadre, m’a énormément servi par la suite. » – Taïg Khris

Vous répétez souvent que vous ne vous définissez ni comme sportif, ni comme entrepreneur, mais comme « challenger ».

2 – Qu’exprime ce terme que les autres ne disent pas de vous ?

« Les sportifs vivent souvent dans leur sport. Ils consacrent toute leur vie à la discipline, ils y mettent toute leur énergie, et quand ils arrêtes, beaucoup ne savent plus trop quoi faire d’autre. Les entrepreneurs, eux, cherchent à construire, à gérer, à faire grandir une structure.

Moi, c’est différent. Depuis toujours, je me lance dans des rêves un peu fous, que ce soit dans le sport ou ailleurs. Ce qui me plaît, c’est de me fixer un défi impossible, dans n’importe quel domaine, et de tout faire pour le rendre possible. Je peux passer du roller à l’entrepreneuriat, de la performance physique à la tech, sans perdre cette logique du challenge. C’est pour ça que je me vois comme un “challenger” : quelqu’un qui avance en suivant une passion, qui se crée un rêve à atteindre, et qui recommence aussitôt après avoir réussi. » – Taïg Khris

En 2010, vous sautez de la tour Eiffel devant des millions de spectateurs, puis en 2011 vous battez le record du monde de saut en longueur en roller depuis le Sacré-Cœur. Deux exploits qui ont marqué les esprits. 

3 – Qu’avez-vous appris de ces expériences extrêmes que vous appliquez encore aujourd’hui dans votre vie d’entrepreneur ?

« Ces exploits m’ont beaucoup appris sur le travail d’équipe. On a souvent vu le résultat final, la performance, mais derrière, il y avait des dizaines de personnes à coordonner, des ingénieurs, des techniciens, des autorités à convaincre. Ça m’a appris à fédérer, à embarquer tout le monde dans une même vision.

Quand je prépare quelque chose, que ce soit un saut ou une entreprise, je dois comprendre parfaitement le domaine, devenir expert du sujet, connaître chaque détail technique, réglementaire, humain. C’est la même chose quand on parle à un président, à un ingénieur ou à un investisseur, il faut comprendre à qui on s’adresse, trouver le bon langage pour convaincre.

Ce que j’ai appris, c’est que le plus difficile, ce n’est pas de sauter d’une tour, c’est de convaincre les gens. Convaincre, c’est un art. Et pour y arriver, il faut être sincère, passionné, ne pas jouer un rôle. Quand on vit vraiment sa passion, les gens le sentent, ils embarquent avec vous. » – Taïg Khris 

II. Du record au rebond entrepreneurial

En 2014, vous fondez Onoff Telecom avec l’ambition de réinventer la téléphonie grâce à un numéro dématérialisé utilisable partout.

4 – Qu’est-ce qui vous a convaincu qu’après le sport, les télécoms seraient votre nouveau terrain de jeu ?

« Le milieu du roller est très petit, sans grands moyens. Ce n’est pas un sport très médiatisé, donc pas de gros sponsors ni d’agents, en tout cas à l’époque. J’ai eu la chance de me faire connaître au-delà de ce cercle mais je me suis vite rendu compte que j’avais choisi une industrie minuscule.

Je me suis alors promis de ne plus refaire cette erreur. Après une blessure, quand j’ai décidé de me réinventer, j’ai pris une feuille et j’ai noté plusieurs critères : viser le plus grand marché au monde, globalisé, avec une expérience utilisateur centrale, une distribution mondiale, un produit 100 % digital et surtout, quelque chose qui n’existe pas encore.

J’ai réalisé qu’avec le cloud, personne n’avait encore créé d’application permettant d’avoir un numéro de téléphone dématérialisé. C’est comme ça qu’est née Onoff. En choisissant cette voie, je sortais complètement de mon univers, mais c’était justement ce que je voulais, prouver qu’on pouvait réussir dans un domaine qu’on ne connaît pas, si on s’en donne les moyens. » – Taïg Khris 

Le marché des télécommunications est l’un des plus concurrentiels et réglementés, dominé par des géants comme Orange ou Vodafone. Vous y êtes entré sans bagage technique d’ingénieur.

5 – Comment avez-vous trouvé votre légitimité dans un secteur aussi monopolistique ?

« Au début, j’étais perçu comme un ovni. Les grands opérateurs me regardaient avec curiosité : “Tiens, il a une idée bizarre, on va voir ce que ça donne.” Ils ne me mettaient pas vraiment de barrières, mais ils n’aidaient pas non plus.

Heureusement, le secteur est très encadré par la loi, ce qui protège les nouveaux entrants. Si on comprend bien les règles, on peut créer un service indépendant sans dépendre directement des grands acteurs. J’ai vite compris que ce serait un marathon, il fallait des années et des millions d’euros pour construire un système technique aussi fiable que celui d’un opérateur classique.

Mettre des numéros dans une application, permettre les appels, SMS, MMS, la portabilité, la conformité légale… tout ça, c’est d’une complexité folle. Et quand on débute, le cercle est infernal : sans financement, le produit avance lentement ; sans produit stable, impossible d’attirer des investisseurs. Il faut tenir, encore et encore, jusqu’à ce que la machine devienne rentable. » – Taïg Khris 

En dix ans, Onoff a levé environ 20 millions d’euros et franchi les 24 millions de chiffre d’affaires en 2024.

6 – Quel a été le défi le plus difficile à surmonter pour atteindre ce cap ?

« Les premières années ont été les plus dures. Les grands investisseurs ne voulaient pas y aller, donc je me suis tourné vers des petits. J’ai fini par réunir environ 130 investisseurs individuels. C’était un combat permanent pour trouver l’argent nécessaire à la fin de chaque mois.

Je vivais avec cette sensation d’être dans un tunnel, je voyais la sortie mais je n’avais plus assez d’essence pour l’atteindre. Je savais que l’idée était bonne, que la boîte avait un potentiel énorme, il fallait juste trouver juste un peu plus d’énergie, un peu plus de ressources pour continuer à avancer.

Vers 2016-2017, on avait des dettes, des retards, des nuits blanches. Mais j’ai tenu. Le jour où j’ai enfin trouvé la bonne équipe, tout a changé. La société s’est structurée et elle est devenue rentable. C’est là que j’ai compris que la clé, c’est toujours l’humain. Une équipe solide peut transformer une idée en succès durable. » – Taïg Khris

Depuis quelques années, les “brouteurs», ces arnaqueurs en ligne souvent basés sur le continent africain, utilisent des faux numéros pour mener leurs escroqueries. 

7 – Comment gérez-vous ce risque chez Onoff ?

« C’est vrai que, comme notre service est entièrement dématérialisé, il peut donner envie à certains d’en abuser. Un individu à l’étranger peut, par exemple, obtenir un numéro français sans jamais venir en France. On a donc mis en place énormément de barrières de sécurité et bloqué plusieurs pays à risque.

Mais le vrai sujet, c’est que la sécurité devrait être la même pour tout le monde. Si certains opérateurs appliquent des contrôles très stricts pendant que d’autres restent plus souples, l’équilibre du marché devient compliqué. C’est pour ça qu’on travaille avec les régulateurs pour renforcer la sécurité globale du secteur. » – Taïg Khris 

En 2021, vous avez annoncé Albums, un réseau social autour du partage de photos en groupe. Mais le projet ne semble pas avoir pris son envol…

8 – Pourquoi le projet n’a-t-il pas abouti ?

« Créer un réseau social, c’est extrêmement difficile. Il faut énormément d’argent avant de pouvoir atteindre la rentabilité. On avait pourtant connu un bon départ, autour de 70 000 utilisateurs, mais très vite je me suis rendu compte qu’on se retrouvait face à des géants comme Google Photos ou l’application native de l’iPhone.

Pour qu’une application comme Albums remplace celle native d’un smartphone, il faut qu’elle soit exceptionnelle. Le produit devait être tellement abouti que les gens aient envie de l’adopter au quotidien. Et pour ça, il aurait fallu encore beaucoup d’investissements.

L’application était prometteuse, mais elle restait payante, alors que celles d’Apple ou de Google sont gratuites. C’est un frein évident. Aujourd’hui, le projet n’est pas abandonné, mais en pause. On réfléchit à un repositionnement, à la manière de relancer quelque chose de vraiment différent. » – Taïg Khris 

III. La suite à écrire… et l’empreinte à laisser

Vous êtes passé du sport extrême aux records mondiaux, puis de la scène médiatique à l’entrepreneuriat technologique. Chaque fois, vous avez ouvert un nouveau chapitre.

9 – Quelle est la prochaine étape que vous vous fixez ?

« Pour l’instant, je suis entièrement concentré sur ma société. J’ai mis de côté tout ce qui touche à la télé ou aux projets médiatiques. Si un jour une émission intéressante se présente, pourquoi pas, mais aujourd’hui, ma tête est ailleurs.

J’ai tout de même des projets personnels, notamment un scénario de film que j’ai écrit il y a quelques années, un film d’anticipation un peu dans l’esprit Black Mirror. Je le retravaille actuellement avec des co-scénaristes et j’aimerais qu’il soit produit un jour. Peut-être même que je jouerai dedans, on verra. Et puis, je restaure aussi un vieux château abandonné dans le Vexin. C’est un projet plus personnel, mais ça me plaît. » – Taïg Khris 

10 – Si dans cinq ans tout devait s’arrêter, quelle trace aimeriez-vous laisser dans l’écosystème entrepreneurial ?

« J’aimerais que l’on retienne qu’il est possible de tout accomplir, quel que soit son parcours ou son milieu. Que l’on vienne d’une famille modeste, sans diplôme, sans réseau, on peut entreprendre et réussir dans des domaines totalement différents.

Si mon parcours peut inspirer ne serait-ce qu’une personne à croire en son idée, à transformer un rêve en réalité, alors j’aurai réussi. Ce que je veux montrer, c’est que l’impossible se dépasse, avec passion, persévérance et un peu de folie. » – Taïg Khris 

The New Siècle remercie Taïg Khris pour avoir répondu favorablement à notre interview et ainsi livrer sa vision et son expérience à nos lecteurs.

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Nom d'auteur Juliette Lamy
Juliette Lamy a fait ses armes dans l’audiovisuel puis à la rédaction de Gala.fr et Webedia. Au sein de The New Siècle, elle orchestre les formats exclusifs : Interview, 1 Min Chrono, Le Versus et Entretien avec l’IA. Quelle que soit la thématique, intelligence artificielle, innovations, gaming, elle traque toujours l’intention. Ce que cela change. Pour qui, et pourquoi. Ses phrases, souvent courtes et rythmées, sont sa signature intellectuelle.
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