Dans cette interview exclusive, The New Siècle a interrogé Francis Lelong sur les débuts fulgurants de Sarenza et l’épreuve de son éviction, sur la manière dont il a multiplié les terrains d’expérimentation et sur son pari actuel avec Alegria.group pour faire émerger un leader du NoCode et de l’IA, dans un marché dominé par les modèles américains.

I. Le temps des fondations et des revers

Lorsque vous lancez Sarenza.com, la plateforme devient rapidement le numéro 1 de la vente de chaussures en ligne en France. La première année, elle atteint 800 000 € de chiffre d’affaires et vise les 5 millions l’année suivante.

1 – Comment êtes-vous parvenu à en faire si vite le leader de la chaussure en ligne ?

« La nature a horreur du vide ! Il y avait clairement une place à prendre sur un marché auquel personne ne croyait. Si l’un des cofondateurs de Sarenza.com n’avait pas découvert Zappos aux US, nous n’aurions sans doute même pas lancé l’aventure. Mais le marché de la distribution de chaussures de marques était déjà très largement concurrencé par les succursalistes (Orcade, André, Minelli…), et les marques manquaient d’espace de vente en centre-ville et d’exposition. 

Finalement, Sarenza.com comblait un vide autant pour les marques que pour les clientes passionnées de chaussures et qui ne s’y retrouvaient pas dans l’expérience client en magasin physique : jamais la bonne taille disponible, la bonne couleur, délais d’attente pour essayer les chaussures… Il fallait comprendre le marché, construire une expérience d’achat en ligne adaptée (livraison et retour gratuits pour essayer à domicile) et convaincre les marques leaders de tenter l’aventure avec nous. Une fois ces fondations posées, une grande partie du chemin était faite. » – Francis Lelong

Malgré ces débuts prometteurs, en février 2007 les investisseurs vous évincent brutalement de la direction de Sarenza.

2 – Quel impact cet épisode a-t-il eu sur votre parcours d’entrepreneur ?

« Ce qui est certain, c’est qu’il ne m’a pas abattu ! Après avoir échangé depuis 20 ans avec des dizaines d’entrepreneurs qui ont vécu la même chose, j’ai appris à relativiser cette aventure ! Bien évidemment, sur le coup, on ressent une terrible injustice. Il faut un peu de temps pour comprendre que ce genre de situation n’est jamais binaire, noire ou blanche. Ce sont des situations complexes qui trouvent une issue favorable avec de l’expérience, des valeurs fortes partagées avec ses investisseurs, et quand on sait mettre de côté son ego. Tout l’inverse de notre situation à l’époque.

J’ai décidé de me battre contre ce que je considérais comme une injustice, mais j’ai aussi décidé de repartir très vite, d’abord pour des raisons basiquement financières puisque je n’avais aucune indemnisation, puis parce que je savais que ma vie, c’était l’entrepreneuriat. Sarenza.com, c’était déjà ma 4ᵉ entreprise. » – Francis Lelong

II. Traverser les tempêtes pour rebondir plus fort

En 2007, vous lancez TooFoot, puis en 2010 L’Edito.com, deux projets que vous qualifierez plus tard de « très belles idées » n’ayant pas abouti en entreprises rentables.

3 – Suite à ces expériences, selon vous, comment passe-t-on d’une très belle idée à une idée rentable ?

« Quand on entreprend, il faut accepter que l’échec soit la norme. Si ça marchait à chaque fois, tout le monde serait entrepreneur. Il y a deux ingrédients pour réussir : ce que l’on maîtrise, et en particulier la qualité de l’exécution. Sans une bonne exécution, c’est le crash assuré. 

Et puis il y a tout ce que l’on ne maîtrise pas, comme ouvrir un restaurant une semaine avant le Covid. Les impondérables font partie du jeu. Parfois on trouve des solutions pour s’adapter, et parfois ça vous tue. Lorsque l’on exécute parfaitement une bonne idée et qu’il n’y a pas d’impondérable sur votre chemin, il n’y a aucune raison pour que le succès ne soit pas au rendez-vous. » – Francis Lelong

En 2018, vous prenez les commandes de Qobuz en tant que directeur général. En un an, vous relancez la plateforme : +45 % de croissance, pertes divisées par deux, et 22 millions d’euros levés.

4 – Comment avez-vous réussi ce redressement face à des acteurs du streaming déjà solidement installés ?

« J’ai beaucoup appris de mon expérience Qobuz. D’abord parce que j’y ai rencontré un formidable entrepreneur qui y croyait et qui avait décidé de reprendre la société au tribunal de commerce et d’y investir plusieurs millions de sa poche. Ensuite parce que j’y ai trouvé une équipe de passionnés, qui s’était simplement un peu perdue en cours de route dans les difficultés techniques.

Nous sommes partis d’un postulat assez simple : il serait inutile de se battre face à Apple ou Spotify frontalement, les moyens financiers entre eux et nous étant démesurés. Au contraire, nous avons décidé de rester sur notre niche, celle des mélomanes et des audiophiles, en faisant le pari de la qualité et non de la quantité.

Une fois les difficultés techniques résolues, nous avons également décidé de partir très vite à l’international. Aujourd’hui, le marché américain est le premier marché de Qobuz. C’était aussi pour moi la première fois que j’ai pu mettre en œuvre à grande échelle les automatisations et les outils NoCode qui m’ont conduit à créer Alegria.group par la suite. » – Francis Lelong

III. Faire émerger un leader français dans un marché mondialisé

Fin 2020, vous cofondez Alegria.tech (devenue depuis Alegria.group) avec l’ambition d’en faire la première « factory » du NoCode en Europe sous trois ans.

5 – Qu’est-ce qui vous a convaincu que cette révolution serait plus structurante encore que celles que vous aviez vécues auparavant ?

« C’est mon passage chez Qobuz qui m’a définitivement convaincu. J’avais découvert Airtable en 2016, mais je ne l’avais utilisé que dans de petites structures. Même chose pour Make. Ces outils ont profondément transformé mon rôle de CEO. Je considère qu’une partie essentielle de mon travail consiste à trouver des solutions aux problèmes qui surgissent. 

Avec ces outils, j’ai pu mettre en place des solutions en un temps record, sans dépendre des développeurs. Cette agilité, d’abord apportée par le NoCode puis par l’IA, a complètement révolutionné ma manière d’exercer ce métier.  » – Francis Lelong

En à peine 4 ans, Alegria.group est passée de 3 cofondateurs à 60 collaborateurs. Dans le même temps, vous avez accompagné plus de 500 clients sur 300 projets NoCode et formé des centaines de makers via votre académie.

6 – Jusqu’où ambitionnez-vous de mener Alegria.group dans le secteur du NoCode ?

« Nous sommes très fiers de ce que nous avons accompli sur le marché du NoCode, mais ce n’est rien en comparaison de ce que nous faisons maintenant en combinant NoCode, automatisations et IA.

Notre nouvelle mission, depuis deux ans, est de permettre à chaque Français et à chaque entreprise de monter en compétence sur ces technologies pour acquérir une nouvelle autonomie technologique. Nous appelons ça le Post-code, l’ère où l’IA est capable de coder à notre place, conduisant à l’effondrement des barrières technologiques et du coût du code. » – Francis Lelong

Le modèle Sarenza a été inspiré de Zappos aux États-Unis. Plus récemment, Alegria.group s’inspire des tendances du marché américain du NoCode.

7 – La France a-t-elle encore un rôle à jouer comme pionnière ou reste-t-elle toujours dans l’imitation des modèles anglo-saxons ?

« Aujourd’hui, les grandes tendances de fonds technologiques sont mondiales. En revanche, le modèle d’Alegria.group est unique. Nous n’avons pas d’équivalent en Europe ou aux États-Unis à notre connaissance à ce jour. En France, nous avons tendance à souvent nous critiquer, mais il ne faut pas oublier que nous restons l’un des leaders mondiaux de la technologie. 

Oui, la compétition est rude avec les Américains et les Chinois, mais comme pour Qobuz, si l’on se concentre sur nos forces, nous avons encore de belles années de prospérité devant nous. » – Francis Lelong

The New Siècle remercie Francis Lelong pour avoir répondu favorablement à notre interview et ainsi livrer sa vision et son expérience à nos lecteurs.

Nom d'auteur Juliette Lamy
Juliette Lamy a fait ses armes dans l’audiovisuel puis à la rédaction de Gala.fr et Webedia. Au sein de The New Siècle, elle orchestre les formats exclusifs : Interview, 1 Min Chrono, Le Versus et Entretien avec l’IA. Quelle que soit la thématique, intelligence artificielle, innovations, gaming, elle traque toujours l’intention. Ce que cela change. Pour qui, et pourquoi. Ses phrases, souvent courtes et rythmées, sont sa signature intellectuelle.
bloc pub

Laisser un commentaire

Inscrivez-vous !

INSCRIVEZ-VOUS À
NOTRE NEWSLETTER !

Renseignez votre adresse mail
pour recevoir nos nouveautés
et rester informé de nos actualités.