
Interview : David Defendi – Président de Genario
David Defendi écrit le futur aussi vite qu’il l’imagine. Écrivain et scénariste récompensé (Emmy Award 2012 pour Braquo sur Canal+), il franchit en 2019 une nouvelle étape, mettre l’IA au service des auteurs. Avec l’ingénieur Louis Manhès, il cofonde Genario, une plateforme française qui ambitionne de révolutionner l’écriture de scénarios grâce à l’IA. En 2024, la start-up reçoit le Prix du Club Tech à Cannes et suscite l’intérêt des grands studios. L’année suivante, au World AI Film Festival 2025, David Defendi remet deux prix Genario et anime plusieurs débats sur les droits d’auteur. Il a inauguré en avril 2025 Genario Studio, un studio virtuel consacré à la génération d’images, de scènes et de séquences par IA.
Dans cet entretien exclusif, The New Siècle a questionné David Defendi sur la vocation de Genario : créer une IA qui décuple l’imagination. Il revient sur les choix qui ont façonné l’outil, les garanties apportées aux prompteurs, la méfiance persistante dans le secteur, et sa vision d’un futur où l’écriture, le cinéma et les technologies se réinventent ensemble.
I. Une IA qui respecte l’imagination
Vous insistez souvent sur le fait que l’intelligence artificielle doit stimuler la créativité des auteurs, pas s’y substituer.
1 – Comment l’IA peut-elle concrètement enrichir le travail d’un scénariste sans diminuer la part d’inventivité humaine ?
« Avouons-le, rien ne prouve que l’inventivité soit un monopole humain. Les réseaux de neurones ont déjà généré des twists que j’aurais aimé signer. Souvenez-vous du coup de DeepMind au jeu de go en 2016 : aucun humain n’avait été aussi créatif. C’est peut-être ce qui va se produire aussi dans le domaine artistique.
La question n’est donc plus “comment les garder en laisse”, mais « comment composer à deux ». Moi, je m’en sers comme d’un accélérateur d’idées : je lance cinquante versions d’une scène, je garde deux étincelles, puis je réorchestre le tout avec ma sensibilité. C’est la chimie du duo, l’IA multiplie les possibles, l’auteur tranche. » – David Defendi
L’adoption de l’IA dans le cinéma demeure paradoxale et clivante, la grève des scénaristes à Hollywood en 2023 l’a bien montré.
2 – Comment convaincre les sceptiques que l’IA peut être une alliée plutôt qu’une menace ?
« Peut-être qu’on ne les convaincra jamais, et c’est très bien ainsi. La défiance, ça évite les dérives. Peut-être que ça va détruire l’humanité. Franchement, on n’en sait rien. Au minimum, ça risque d’effacer pas mal d’emplois. Moi, je parle d’une centrale nucléaire créative : une énergie inépuisable… mais avec un vrai risque d’explosion. » – David Defendi
II. Un outil au service des auteurs
Genario ambitionne de devenir l’outil incontournable des scénaristes à l’ère de l’IA, en se positionnant comme une « alternative moderne à FinalDraft ».
3 – Qu’est-ce qui distingue Genario des logiciels d’écriture traditionnels et des IA généralistes ?
« Genario est une tour de contrôle qui pilote les modèles existants (GPT-4, Claude, Mistral AI…) avec des agents spécialisés pour chaque étape du travail de scénariste. Il respecte à la virgule près la mise en page Final Draft ou Fountain, là où un LLM brut dérègle les marges et les sluglines.
Il génère un coverage structuré plutôt qu’un simple résumé approximatif. Il extrait les séquences, propose les plans, ajoute valeur de cadre et intentions de mise en scène, ce qu’un ChatGPT “nature” ne sait pas faire. Il reconforme chaque réplique dans la même pagination, en conservant timecodes et repères de scène. Et chaque version est horodatée, hashée, reliée à l’auteur, pour que la SACD puisse calculer les redevances automatiquement.
Genario fait tout ce que ChatGPT échoue à maintenir proprement dans un pipeline pro. Il comprend les balises métier, enchaîne les micro tâches de façon fiable et protège la dimension juridique. Notre innovation n’est pas de recréer un LLM, mais d’orchestrer l’intelligence existante avec une expertise scénaristique pointue. » – David Defendi
D’abord centré sur le texte, Genario a étendu ses fonctionnalités : génération de personnages complets, intégration d’images IA dans les documents, traduction multilingue instantanée, jusqu’à l’analyse automatique de scénarios avec GPT-4, Mistral ou Claude.
4 – Quelles sont les limites techniques ou artistiques qu’il vous reste à franchir avant de pouvoir, un jour, générer un film de A à Z ?
« Nous, en tant qu’appli, on s’arrête au scénario. Pour l’image, on pilote des outils comme Runway, Kling, Veo 3… mais les vraies barrières sont ailleurs. Techniquement, le photoréalisme en temps réel des acteurs synthétiques reste encore bloqué dans cette fameuse “vallée de l’inquiétant”.
Côté légal, le statut d’une performance vocale générée par IA reste flou, juridiquement brumeux, disons. Et sur le plan créatif, une IA peut surprendre, mais pas ressentir. Ce silence tendu entre deux personnages, ce moment suspendu… ça reste un métier d’humain. Cela dit, dans quelques années, avec Google ou OpenAI, ce sera possible. C’est quasiment une certitude. » – David Defendi
Vous êtes la première startup à avoir signé un accord avec la SACD (Société des Auteurs) afin d’encadrer l’usage de l’IA dans l’écriture.
5 – Quelles garanties concrètes cet accord apporte-t-il aux auteurs ?
« Pas de grande promesse philosophique, juste un tuyau à cash : chaque ligne exploitée déclenche un reversement direct vers le portefeuille de l’auteur. La transparence absolue, le consentement parfait ? Ce sont des illusions respectables, mais inaccessibles à court terme. Ce qu’on garantit, c’est que l’argent circule dans le bon sens, et que la SACD dispose des moyens pour corriger une injustice flagrante : celle des données massivement volées pour entraîner les LLMs. » – David Defendi
III. Genario face au monde, et face à demain
Après s’être implanté en France, Genario s’apprête à passer à l’échelle internationale, notamment vers le Royaume-Uni. Vous préparez aussi une levée de fonds de 3 millions d’euros pour accélérer.
6 – Quelles sont vos priorités stratégiques avec cette levée de fonds et ce lancement international ?
« Avec cette levée et le lancement international, on entre dans la version 2.0 de Genario. L’objectif : passer d’un agentpool fermé à une véritable agentmarketplace, où chaque scénariste pourra publier et monétiser son propre agentstyle. Côté équipe, on recrute dix nouveaux storyengineers, des profils hybrides code et dramaturgie, pour conserver six mois d’avance créative.
Et surtout, on lance notre studio interne avec l’idée de produire cinq longs-métrages entièrement portés par les équipes Genario, ingénieurs et artistes confondus. » – David Defendi
Selon vous, l’intelligence artificielle va créer une nouvelle industrie à la lisière du jeu vidéo. Les années à venir pourraient voir naître un nouvel écosystème de contenus immersifs, mêlant cinéma, VR et narration interactive.
7 – Comment voyez-vous la place de Genario dans ce paysage en ébullition, aux côtés des grands acteurs technologiques et des créateurs traditionnels ?
« Je vois deux industries qui avancent en parallèle. D’un côté, un flux industriel, ultra-personnalisé, qui produira peut-être 70 à 80 % du divertissement mondial : des contenus générés à la demande, calibrés pour un jumeau numérique, regardés en solo, ce que j’appelle le “filmprompt”.
De l’autre, une création artisanale, élargie, moins massive mais à forte valeur culturelle. C’est là que se positionne Genario. On veut offrir aux créateurs les superpouvoirs des grands modèles, sans diluer leur singularité.
Notre ambition, c’est de devenir cette colonne vertébrale dramaturgique capable de relier cinéma, jeu vidéo et XR, pour que chaque univers narratif puisse exister à la fois sur écran, en casque VR ou sur téléphone… sans jamais perdre son âme en route. » – David Defendi
The New Siècle remercie David Defendi d’avoir répondu favorablement à notre interview et ainsi livrer sa vision et son expérience à nos lecteurs.

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