
Interview : Benoit Baylin – Co-fondateur de ROAST
Benoit Baylin, ingénieur diplômé de CentraleSupélec (ancienne École Centrale Paris), a d’abord plongé dans l’univers des algorithmes publicitaires avant d’explorer les codes plus opaques des réseaux sociaux. En 2020, il s’associe à Thomas Santrot pour fonder ROAST, premier coach numérique dédié à l’optimisation des profils de rencontre. Plutôt qu’une nouvelle appli, une méthode : aider les célibataires à booster leurs chances en ligne grâce à l’IA et à l’expertise humaine, via une analyse de photos, une génération de portraits, des quiz de personnalité et des vidéos de coaching. Après deux ans, le plateforme annonce avoir séduit plus de 500 000 utilisateurs sans lever de fonds et promet « jusqu’à dix fois plus de matchs » sur Tinder, Hinge ou encore Bumble.
Dans cette interview exclusive, The New Siècle a interrogé Benoît Baylin sur les origines de ROAST et la lassitude croissante des utilisateurs face au swiping, la méthode mêlant intelligence artificielle et coaching humain, les dérives possibles d’une optimisation trop poussée des profils, la singularité d’un modèle autofinancé et sa vision sur le futur du dating où la technologie apprendrait à mieux servir les interactions humaines.
I. La méthode ROAST, entre IA et intelligence humaine
Votre approche repose sur huit années de recherche empirique et sur l’expertise de coachs réels, pas seulement d’algorithmes.
1 – Comment articulez-vous le travail de l’IA et celui des coachs humains pour justifier de la pertinence de vos analyses ?
« L’idée initiale de ROAST était axée sur deux points. Le premier, utiliser l’IA pour donner accès au plus grand nombre, en asynchrone, à des review de qualité de leur profil de dating. Le second concerne justement le mix humain-IA. Nous nous sommes aperçu de plusieurs choses en commençant ROAST. Déjà, le nombre de coachs humains était très réduit. Très peu d’utilisateurs d’apps de dating recevaient du feedback sur leur profil.
Ensuite, en regardant le comportement des gens et en faisant des interviews, nous avons aussi remarqué que les utilisateurs d’apps, hommes et femmes, savaient très facilement identifier les profils qu’ils aiment ou non. Mais ils avaient en revanche beaucoup de mal à expliciter le pourquoi de leur choix. C’est donc là-dessus que nous avons travaillé. Nous avons demandé à des dizaines de personnes, coachs ou simples utilisateurs, d’annoter des profils et des photos avec nous, pour ensuite créer les IA qui automatisent le feedback. Par essence, ROAST est donc basé sur ces expertises humaines. » – Benoît Baylin
Certains retours évoquent une impression de trop grande “mise en scène” des profils, comme si l’authenticité se diluait dans la recherche de performance. Et des spécialistes estiment que la sur-optimisation des profils finit par les uniformiser.
2 – Jusqu’où peut-on améliorer un profil sans effacer ce qui le rend singulier ?
« Je pense que beaucoup de ces critiques sont de faux problèmes. Le point de départ de l’utilisateur ROAST, c’est un profil et aucun match. Souvent beaucoup de désespoir, d’incompréhension du pourquoi, de remise en question personnelle : “je ne suis pas assez beau, l’algorithme me sanctionne, etc…” Toute notre mission est d’expliquer aux gens qu’il s’agit au contraire d’un manque de self marketing, de mise en valeur de leurs spécificités, de leur vie. “Est-ce que je veux avoir l’air d’une rockstar, d’un business man, d’un fan de sport ?”
Pour arriver à cela, nous avons développé plusieurs features afin d’aider les gens à avoir de bonnes photos. Nous leur apprenons à en faire eux-mêmes, nous en générons pour eux avec de l’IA, ou nous pouvons faire venir un photographe chez eux. À la base, c’était surtout pensé pour leur donner de l’inspiration. Mais forcément, c’est un excellent compromis temps / effort / argent, donc beaucoup d’utilisateurs les utilisent telles quelles. Les photos IA sont beaucoup plus fidèles à la réalité qu’une photo super retouchée sur Photoshop, ou filtrée avec tous les filtres que l’on connaît. Je pourrais parler longtemps de ces questions de “et si tout le monde utilisait ça, on aurait tous les mêmes profils”. Si on arrivait à aider 80 % des utilisateurs d’app, je suis persuadé que l’expérience de tout le monde serait bien meilleure. » – Benoît Baylin
L’intelligence artificielle influence désormais la manière dont les gens se rencontrent et interagissent.
3 – Craignez-vous qu’à force d’efficacité, la technologie ne finisse par affaiblir la part d’imprévu qui fonde les rencontres « in real life » ?
« Non, je pense que les gens ne sont pas dupes. On est passé de rencontres “dans le réel”, avec tous les problèmes que cela implique, à des rencontres virtuelles. Au début, c’était top, on pouvait swiper depuis son canapé, dans un grand confort. Mais aujourd’hui, les applications de rencontre souffrent. Beaucoup de gens n’ont aucun résultat, la rencontre manque de spontanéité, les gens ne se parlent pas.
C’est un problème très complexe à résoudre. Il faut revenir à plus de réel justement. La première chose qu’on dit à nos utilisateurs, c’est que les conseils qu’on leur donne, il faut les appliquer aussi dans la vraie vie. Les apps ne doivent pas être leur unique moyen de rencontre. On voit aujourd’hui l’essor de moyens de rencontre alternatifs : run clubs, clubs de membres, etc. C’est exactement dans notre ADN.
Je parlais tout à l’heure de réfléchir à ce que l’on veut dégager : si je suis sportif et que c’est important pour moi, je dois aussi trouver dans la vraie vie des idées pour rencontrer une sportive. Le run club va vite me venir à l’esprit. Le milieu de la rencontre va se réinventer, et l’IA devrait être un soutien à ça. » – Benoît Baylin
II. Une start-up française à contre-courant du modèle classique
ROAST s’inscrit dans un modèle freemium, avec un rapport complet facturé à partir de 6,99 $ et des formules plus poussées pour le coaching premium.
4 – Qu’est-ce qui, selon vous, pousse un utilisateur à investir dans ce type d’accompagnement plutôt que de se contenter d’outils gratuits ?
« Pour ce qui est du coaching, c’est toujours le même constat. Aujourd’hui plus que jamais, on a accès à toute l’information du monde. Je peux trouver sur Internet comment perdre du poids, devenir milliardaire, commencer n’importe quel sport ou apprendre à cuisiner. Le problème, c’est que cette information gratuite aura plusieurs défauts. Est-elle de qualité ? S’adapte-t-elle vraiment à moi, à mon stade, à mes objectifs ? Je peux citer beaucoup d’exemples : est-ce que ChatGPT est vraiment un expert en dating pour me donner des conseils sur mes photos ? Est-ce qu’une vidéo d’un Américain va vraiment être pertinente pour un Français qui veut rencontrer quelqu’un à Paris ?
Donc ce qui se paie, c’est tout cela. La qualité, la pertinence, la personnalisation. Il y a d’autres facteurs aussi. Ce qui est gratuit n’a en général pas de valeur. Le simple fait de payer aide les gens à vraiment passer à l’action, ce qui est le point déterminant du changement. » – Benoît Baylin
Le marché du “dating coaching” foisonne, de Photofeeler à GlowupAI, les solutions d’optimisation de profil se multiplient.
5 – Comment ROAST se distingue de ces alternatives et des coachs plus traditionnels ?
« Photofeeler a un bon service. Il ment un peu sur l’utilisation d’humains, à mon avis, c’est seulement de l’IA, mais c’est ce qui rassure les gens pourtant. Nos algorithmes sont beaucoup plus poussés. Nous faisons des reviews de photos aussi, mais nous prenons en compte tout le profil dans son exhaustivité : est-ce que ces photos vont bien ensemble, ou est-ce que je suis en train de faire un patchwork qui n’a aucun sens ? Est-ce que la description du profil le complète bien ?
En plus de cela, nous avons toute la panoplie de fonctionnalités qui aident l’utilisateur. Nous pouvons générer des photos pour lui. D’ailleurs, aujourd’hui, 50 % de notre activité consiste à générer des photos, non seulement pour le dating, mais aussi pour la vie professionnelle, via notre nouvelle marque ExecHeadshots. En quelques clics, je peux générer une photo de moi dans n’importe quel contexte, avec n’importe quel outfit, une motivation énorme pour les répliquer dans la vraie vie. Et pour la partie dating, nos leçons constituent une étape cruciale pour nos utilisateurs : comprendre les enjeux du dating, déterminer leurs objectifs précis, savoir qui ils veulent attirer et ce qu’ils veulent projeter. » – Benoît Baylin
ROAST a conquis sa base d’utilisateurs sans faire appel à des investisseurs, un cas rare dans l’écosystème start-up.
6 – Ce choix d’autofinancement s’inscrit-il dans une logique durable ou envisagez-vous d’ouvrir le capital pour accélérer la croissance ?
« Le choix s’est fait naturellement pour nous. Comme nous sommes deux Centraliens, nous avions les moyens techniques pour tout coder. De mon expérience, j’ai toujours valorisé la vitesse d’itération. La majeure partie du temps, on se trompe dans nos décisions business, le tout est de vite corriger nos erreurs.
Donc nous n’avions besoin de personne, et cela s’est encore amélioré avec tous les outils d’IA d’aide au développement. Rapidement, nous avons été rentables et nous avons pu financer notre croissance avec différentes lignes de crédit. Nous avons réfléchi à la suite aujourd’hui : acquisition, ouverture du capital, ou simplement continuer à grossir comme nous le faisons, entre autres via nos produits pro. » – Benoît Baylin
III. Cap sur l’international et l’amour de demain
L’entreprise a beau être née en France, elle parle plusieurs langues et attire des clients à Vienne, Miami ou encore Melbourne.
7 – Quelles différences percevez-vous dans les usages ou les attentes selon les pays ?
« Les différences que l’on observe concernent surtout des aspects assez superficiels du dating : le style des gens, les lieux de rencontre, les habitudes sociales. 90 % de nos conseils peuvent s’appliquer à tout le monde, et c’est ce qui est beau.
Sur le plan business, en revanche, les écarts de comportement sont beaucoup plus marqués. Les Américains sont très en avance dans leur approche du coaching, c’est naturel pour eux de payer pour gagner du temps et accéder à de la qualité. Les Français, eux, ont davantage tendance à se dire “je suis assez malin pour faire avec le gratuit”. » – Benoît Baylin
Les grandes plateformes emboîtent le pas : Tinder teste depuis 2024 un “Photo Selector” automatisé, pendant que d’autres affinent leurs outils d’IA.
8 – Quand les géants reprennent vos idées, est-ce une menace ou une porte ouverte à une potentielle collaboration voire une démocratisation de l’outil ?
« Nous sommes contents que le marché grandisse, que les gens prennent conscience du problème. Nous savons très bien que les apps vont essayer d’intégrer des solutions, mais aussi que c’est très difficile pour elles. Elles n’ont pas forcément l’expertise, paradoxalement. Et c’est compliqué pour une app de dire à son utilisateur que c’est lui le problème, elles préfèrent essayer de lui prendre le plus d’argent possible avec des boosts, etc.
Pour ce qui est du dating, nous ne sommes pas inquiets. Le “Photo Selector” de Tinder est vraiment très mauvais, par exemple. Bumble a intégré des conseils de coach dans l’app, mais c’est très générique et peu impressionnant. En revanche, sur la partie pro que j’ai évoquée, LinkedIn (qui appartient à Microsoft, et est à fond sur l’IA) a déjà intégré beaucoup d’aides diverses pour optimiser les profils. Et c’est, à mon sens, beaucoup plus impactant. » – Benoît Baylin
Le marché du dating devrait peser près de 12 milliards de dollars d’ici 2030, dopé par l’intelligence artificielle.
9 – Comment imaginez-vous ROAST dans cinq ans ? Toujours centré sur l’optimisation de profils, ou élargi à d’autres pans de la vie amoureuse et sociale ?
« Difficile de se projeter à cinq ans, mais plusieurs voies sont possibles. Nous pourrions nous développer sur le pro, le perso et le dating, en créant pour chacun des applications mobiles, car pour le moment, nous sommes uniquement sur le web.
Nous pourrions aussi pousser une verticale avec beaucoup plus de profondeur qu’aujourd’hui. Par exemple, nous travaillons déjà sur des fonctionnalités de coaching à la demande, en vidéo. Nous pourrions également avoir été rachetés par un acteur du secteur pour une meilleure intégration. Et pourquoi pas avoir lancé une application révolutionnaire, qui met les gens en contact et règle enfin le problème d’authenticité de la rencontre dont on parlait avant ! Différentes voies sont possibles, rien n’est fermé pour le moment. » – Benoît Baylin
The New Siècle remercie Benoît Baylin d’avoir répondu à notre interview et ainsi partager sa vision et son expérience à nos lecteurs.
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