Interview : Andréa Bensaid – Fondateur et CEO de Eskimoz
Andréa Bensaid a choisi très tôt la voie de l’indépendance. Diplômé de l’EDHEC, il délaisse la finance pour explorer le SEO, alors encore marginal. Il débute comme freelance, persuadé que la visibilité en ligne deviendra vite un enjeu vital pour les entreprises. En 2012, il fonde Eskimoz avec une conviction : faire du référencement SEO un levier stratégique de visibilité. En 2023, il lance le podcast LITTLE BIG THINGS, dédié à l’entrepreneuriat et à la tech, pour inspirer et conseiller les entrepreneurs français. Parallèlement, il prend goût à l’accompagnement de jeunes pousses et multiplie les investissements en tant que business angel, avant de créer en 2025 le fonds 199 Ventures conçu pour remettre le marketing au centre des stratégies de croissance.
Dans cette interview exclusive, The New Siècle a interrogé Andréa Bensaid sur la croissance d’Eskimoz sans levée de fonds, son ambition de bâtir la première licorne autofinancée de France, la façon dont il a préservé l’ADN d’une entreprise en pleine expansion internationale, l’impact de l’IA sur le marketing digital et, enfin, son rôle d’investisseur engagé à travers 199 Ventures et ses activités de business angel.
I. L’indépendance comme moteur de croissance
En moins de dix ans, Eskimoz est passée de 5 à plus de 200 salariés, avec +50 % de croissance annuelle et 30 M€ de revenus en 2023, le tout sans levée de fonds.
1 – Comment expliquez-vous une telle croissance organique fulgurante, réalisée sans aucun apport d’investisseurs extérieurs ?
« La croissance organique peut s’avérer plus longue mais certainement plus solide car chaque obstacle est dépassé par un business modèle efficient. Inversement, quand on franchit une étape sans être rentable, comment être sûr que le modèle sera vraiment tenable par la suite. En effet, nous avons gagné 20M€ d’ARR en 2 ans avec une très forte rentabilité grâce à des process solides et un business modèle éprouvé. Nous avons pris du temps par le passé pour construire des fondations solides afin de pouvoir scaler notre activité.
Grâce à nos process internes actuels nous pouvons dépasser les 100M€ de chiffre d’affaires sans subir la moindre baisse de qualité ou de rentabilité. Nous avons aussi développé un CRM maison qui nous permet de pouvoir gérer des milliers de collaborateurs et de projets dans un nombre illimité de pays. J’invite tous les entrepreneurs à prendre le temps dès le départ de poser des fondations solides, même si ce n’est pas adapté dès le début, afin de pouvoir connaître une croissance saine et sans contrainte. » – Andréa Bensaid
Vous affichez désormais l’objectif d’atteindre 100 M€ de chiffre d’affaires d’ici 2029 et de devenir la première licorne autofinancée de France.
2 – Comment pensez-vous y parvenir, là où la plupart des scale-ups passent par des levées de capital importantes ?
« Nous comptons beaucoup sur notre offre de GEO (Generative Engine Optimization), car nous recevons des centaines de demandes tous les mois sur le sujet partout en Europe. Nous avons anticipé la montée en puissance des LLM, notamment ChatGPT, et nous avons donc l’une des meilleures offres du marché pour accroître efficacement sa visibilité sur les moteurs IA. Nous avons également développé un outil dédié, LLM Ranking, qui permet de piloter et de suivre sa visibilité sur les prompts stratégiques.
Enfin, notre développement international connaît une formidable croissance et beaucoup de grands groupes français nous confient leur budget d’acquisition global pour développer leur activité partout en Europe. Nous sommes à ce jour le seul groupe français disposant de bureaux locaux à Londres, Milan, Madrid et Düsseldorf, ce qui représente un très gros avantage concurrentiel. » – Andréa Bensaid
II. S’étendre à l’international tout en préservant son ADN
Le marketing digital est un secteur saturé, dominé par une myriade d’agences et de groupes mondiaux. Eskimoz y a pourtant trouvé sa place de leader européen.
3 – Qu’est-ce qui distingue fondamentalement votre approche de celle des autres acteurs du marketing digital ?
« La rigueur, la tech et les process. Il y a beaucoup d’acteurs mais très peu ont les moyens de développer des outils tech propriétaires. Nous investissons actuellement 2 millions d’euros dans une équipe de plus de 20 personnes uniquement pour faire de la R&D et développer des outils de pointe pour nos clients.
99% du marché est composé de freelances et d’agences web de moins de 20 personnes, ce qui ne leur permet pas d’investir autant dans l’innovation. À ce jour, nous sommes la seule agence à avoir développé un outil propriétaire aussi puissant pour se référencer sur les LLM et ce n’est qu’un outil sur une dizaine.
Enfin, nous avons développé une rigueur opérationnelle en s’inspirant des grands cabinets de conseil ce qui ne laisse aucune place à l’incertitude. Cela fait déjà plusieurs années que nous ne perdons plus de client pour cause d’insatisfaction. » – Andréa Bensaid
Avec le rachat en 2024 de Semtrix en Allemagne et des bureaux ouverts à Madrid, Londres ou Milan, Eskimoz s’impose comme un acteur continental, avec New York en ligne de mire.
4 – Comment préserver une culture unifiée alors que vous multipliez les implantations ?
« C’est par la culture que commence toujours notre expansion à l’international. Le premier point d’attention pour le lancement d’un pays est de s’assurer d’un fort “fit” humain, en d’autres termes d’un fort niveau de confiance avec les équipes.
La relation est clé dans nos métiers, surtout quand on ne travaille pas dans le même bureau, voire dans le même pays !
En effet, le défi européen est de réussir à collaborer malgré des langues et des cultures différentes. Mais de cette difficulté nous avons réussi à en créer une force car c’est justement parce qu’aucun concurrent n’a relevé ce challenge culturel qu’aujourd’hui nous sommes la seule agence d’acquisition capable d’accompagner les clients avec des équipes locales. » – Andréa Bensaid
III. Quand l’IA rebat les cartes du marketing
Si le SEO classique reste dominant, le GEO (Generative Engine Optimization) dont vous parliez en amont, qui consiste à se rendre visible dans les réponses des IA telles que ChatGPT ou Perplexity, prend petit à petit de l’ampleur.
5 – Pensez-vous que le référencement traditionnel va s’effacer, ou qu’il devra désormais cohabiter avec ces nouveaux leviers ?
« Les études sortent chaque semaine et les statistiques évoluent rapidement, malgré cela on constate une tendance de fond. Les utilisateurs ne quittent pas l’un pour l’autre, mais ils utilisent plutôt les deux, pour des attentes différentes. Cela se traduit par une utilisation de Google plutôt stable, accompagnée d’une croissance fulgurante sur les LLM. Mais le fait que le trafic sur Google ne baisse pas confirme l’hypothèse d’une utilisation multiple des utilisateurs.
Après si l’on regarde par génération, c’est toujours la même chose, une faible utilisation chez les Boomers et une forte utilisation de la GenZ. Mais cela été déjà le cas avec les autres plateformes comme TikTok. Les experts appellent ça l’ère du Global Search ou l’ère de la multi-plateformisation. À ce jour, 40% des Français utilisent désormais quotidiennement les LLM. » – Andréa Bensaid
La “génération Z” passe par TikTok ou Instagram pour découvrir des produits et interroge directement ChatGPT pour obtenir des conseils.
6 – Comment les marques doivent-elles adapter leur stratégie d’acquisition dans ce paysage multi-plateformes ?
« La réponse est claire, il faut adopter une approche Global Search. Autrement dit, être plus complet. Connaître les audiences et spécificités de chaque plateforme, puis développer une stratégie pour être omniprésent. Aujourd’hui, tout est lié, vos posts Instagram sont référencés sur Google, l’apparition de votre marque dans une page web ou sur un forum comme Reddit vous permettra d’être cité sur ChatGPT. À l’inverse, l’erreur stratégique à l’ère du Global Search serait de tout miser sur un seul canal. » – Andréa Bensaid
IV. Du CEO à l’investisseur engagé
Début 2025, vous avez lancé 199 Ventures, un fonds de 30 M€ financé sur vos propres fonds, pour apporter un soutien marketing aux startups.
7 – Quel manque dans l’écosystème de l’investissement ce nouveau fonds vient-il combler ?
« Le marketing a toujours été la dernière roue du carrosse dans le VC. “80% des startups ne font pas du marketing une priorité stratégique », selon une étude menée par Bpifrance. Pourtant, à l’heure de l’IA et du no-code, il semblerait que les barrières technologiques tombent les unes après les autres.
Alors, ma conviction est que les grands gagnants seront ceux qui mettent l’accent sur le marketing, le branding, le produit et l’expérience client. Et oui, on peut être technophile et vouloir placer le marketing au cœur de sa stratégie. » – Andréa Bensaid
Vous êtes aujourd’hui l’un des business angels les plus actifs de la French Tech, avec près de 100 participations.
8 – Quelle valeur unique apportez-vous aux startups par rapport à un VC classique ?
« De l’expérience. Étant passé de 0 à 300 collaborateurs sans lever de fonds, je pense avoir rencontré de nombreux obstacles auxquels les entrepreneurs peuvent faire face.
Du pragmatisme. Mon approche “Bootstrap” apporte de la simplicité et du réalisme dans les échanges. Tu as dépensé 1 000 euros pour ça, combien en as-tu gagné ?
Du marketing. Avec plus de 15 ans d’expériences à accompagner des startups et grands groupes dans leur stratégie d’acquisition, je pense pouvoir identifier assez bien la stratégie adaptée pour chaque problématique. » – Andréa Bensaid
Le monde entrepreneurial glorifie souvent la taille des tours de table. Pourtant vous avez prouvé qu’on pouvait bâtir un champion rentable sans capital-risque.
9 – Est-il encore pertinent de mesurer la réussite d’une startup uniquement à sa valorisation ?
« Malheureusement non, beaucoup d’entrepreneurs ont fait la tournée des plateaux sans toucher le moindre centime des montants annoncés. C’est une triste réalité souvent passée sous silence. Une vraie entreprise c’est pour moi une entreprise qui peut continuer d’exercer sans avoir besoin de nouveaux capitaux. C’est une entreprise qui génère plus de revenus qu’elle n’a de dépenses. » – Andréa Bensaid
The New Siècle remercie Andréa Bensaid pour avoir répondu favorablement à notre interview et ainsi livrer sa vision et son expérience à nos lecteurs.
Juliette Lamy
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