
Interview : Paul de Préville – Co-fondateur de Ensol
Passé par la fintech avec Mansa, la mobilité chez Kapten, et l’événementiel en co-fondant YouShould en 2015, Paul de Préville bifurque vers l’énergie autosuffisante huit ans plus tard en créant Ensol aux côté de Martin d’Hoffschmidt. Leur proposition de valeur ; faire de la maison un centre de production autonome, intégrant panneaux photovoltaïques, batteries, bornes de recharge et gestion intelligente de l’énergie via une application dédiée. Moins d’un an après sa première installation, l’entreprise atteint quatre millions d’euros de chiffre d’affaires, avant de consolider, en avril 2025, sa stratégie d’intégration par une levée de 14 millions d’euros.
Dans cet entretien exclusif, The New Siècle a interrogé Paul de Préville sur sa vision du marché photovoltaïque, les leviers de croissance et les usages qui transforment la consommation énergétique mais aussi les contraintes réglementaires en constante évolution.
I. Changer d’échelle sans se diluer
Votre promesse repose sur un cap précis : 160 000 foyers équipés d’ici 2030. Pourtant, l’adoption reste lente à l’échelle nationale.
1 – Quelle stratégie concrète avez-vous mise en place pour rendre ce cap atteignable, au-delà de la projection ambitieuse ?
« Pour y arriver, on mise sur une stratégie d’agence interne. Nos équipes développent un playbook commercial et opérationnel solide, qu’on réplique région après région. L’idée : scaler avec méthode, tout en laissant de l’autonomie aux équipes locales.
Mais on ne s’arrête pas aux foyers installés par Ensol. On travaille déjà sur une offre de rétrofit : ramener dans notre réseau des installations existantes, même si elles n’ont pas été faites par Ensol. La majorité des installateurs ne pensent pas “centrale électrique virtuelle” ou n’ont pas de vision holistique d’un foyer. Nous, si. Et on veut agréger cette énergie distribuée, peu importe l’origine de l’installation.
Enfin, on souhaite aussi verticaliser avec nos partenaires: mettre nos outils (logiciels, process, intégration, méthodes, etc.) dans les mains de nos partenaires installateurs. » – Paul de Préville
En avril 2025, vous avez levé 14 millions d’euros pour accélérer la marche.
2 – Quelle(s) décision(s), jusque-là intenable, cette levée vous a-t-elle permis d’imposer ?
« Nous avons levé 6 millions d’euros en equity et 8 millions en dette pour accélérer notre croissance et lancer notre offre d’abonnement solaire.
- La levée en equity finance deux grands chantiers stratégiques. D’abord, notre expansion géographique sur deux nouvelles régions : Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. Ensuite, notre technologie, notamment notre EMS (Energy Management System) et notre VPP (Virtual Power Plant). On va multiplier par 6 la taille de notre équipe tech et énergie.
- La levée en dette, elle, est dédiée à notre modèle d’abonnement. Elle nous permet de financer l’achat du matériel (panneaux, batteries, onduleurs…) que nous allons ensuite louer à nos clients. C’est un modèle proche du leasing. » – Paul de Préville
II. De la main-d’œuvre aux normes
Vous avez lancé la Ensol Academy, pour former les futurs installateurs et bâtir votre filière. C’est une décision inhabituelle pour une jeune startup.
3 – Qu’avez-vous vu dans le marché ou la pénurie de main d’œuvre qui vous a amené à internaliser la formation ?
« Une partie de nos installations est faite par nos équipes internes, comme nous souhaitons aussi internaliser nos visites techniques, les chantiers compliqués, et tout l’audit et le SAV. Tout ce qui touche à l’expérience client et à la maîtrise de la qualité, on le garde en propre.
C’est le manque de main d’œuvre qualifiée et disponible tout de suite qui nous a poussé à créer cette Ensol Académy. Et ce n’est pas réservé à nos équipes internes : nos installateurs partenaires en bénéficient aussi. L’Academy les aide à monter en compétence, à structurer leur activité, et à grandir à notre rythme. Parce que si on veut vraiment changer d’échelle, on ne le fera pas seuls, on le fera avec eux. » – Paul de Préville
4 – Comment ENSOL anticipe-t-elle les évolutions réglementaires dans le secteur du photovoltaïque en France et en Europe ?
« Une baisse de la TVA de 20 % à 5 % sur les installations photovoltaïques est attendue en France dès octobre 2025. C’est un signal positif, et on espère que ce n’est qu’un début. En Europe, les grandes tendances sont claires : flexibilité énergétique, tarification dynamique, batteries. Ces technologies vont devenir la norme. Mais la France est en retard.
Pour équilibrer l’offre et la demande en temps réel dans un monde où les sources non pilotables comme le solaire ou l’éolien accélèrent de manière exponentielles, trois leviers s’imposent :
- Le stockage : pouvoir stocker l’électricité dans des batteries, pour la restituer au bon moment, quand il y a un pic de consommation ou un creux de production.
- La flexibilité énergétique : piloter intelligemment sa consommation selon la tension du réseau. C’est exactement ce que permet notre EMS, de façon totalement automatisée.
- La tarification dynamique : inciter les particuliers à consommer au bon moment, quand l’électricité est abondante. C’est paradoxalement un retour à nos racines : la France a été pionnière avec le signal heures pleines / heures creuses, dans les années 70. » – Paul de Préville
III. Le marché à l’épreuve des usages
5 – Quelles sont les principales difficultés rencontrées aujourd’hui sur le marché du photovoltaïque, notamment en matière d’approvisionnement et d’installation ?
« Les deux principales difficultés de notre marché aujourd’hui sont les freins administratifs et le manque de confiance des Français dans le secteur solaire. Il faut gérer les autorisations avec chaque mairie, consulter les PLU, les zones ABF, attendre les validations d’Enedis, etc. Ces étapes peuvent prendre plusieurs mois, ralentir les projets, et parfois décourager des clients.
Le secteur a longtemps souffert de la présence d’écodélinquants : des commerciaux agressifs ou peu scrupuleux. Heureusement, la fin des subventions dans le photovoltaïque a assaini le marché.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a aucune tension particulière sur la supply chain. Les panneaux sont en grande majorité fabriqués en Asie, comme beaucoup de produits industriels, mais ils sont en avance technologique sur nous maintenant. Le prix des panneaux a été divisé par 4 en 10 ans, et les batteries suivent la même trajectoire. » – Paul de Préville
6 – Le marché de l’autoconsommation solaire résidentielle peut-il réellement s’étendre à l’ensemble des foyers ?
« En France, il y a 20 millions de maisons individuelles. On estime que 16 millions d’entre elles sont adressables pour le photovoltaïque : des toitures déjà artificialisées, qui ne nécessitent aucune artificialisation de sol supplémentaire. Si nous équipons ces millions de toitures, nous dépassons les objectifs du Plan Pluriannuel de l’Énergie (net 0) pour 2050 d’un facteur X5 !!
Techniquement, toutes ces maisons peuvent être équipées, à condition que leur structure et leur toiture le permettent. Les seuls freins sont réglementaires : dans certains centres-villes historiques ou zones classées, le solaire est encore interdit pour des raisons esthétiques. » – Paul de Préville
IV. Futur du secteur
Votre modèle dépend de technologies en mouvement permanent.
7 – Si dans le futur, une rupture a lieu, sur le stockage, le pilotage, ou même l’équipement, laquelle redéfinirait le plus profondément votre secteur, voire votre modèle ?
« Une rupture technologique majeure dans la capacité à produire une énergie propre, bon marché et facilement déployable à l’échelle, comme la fusion nucléaire ou les SMR (Small Modular Reactors), serait une excellente nouvelle pour l’humanité.
Mais nous ne comptons pas sur une rupture technologique pour avancer. Ce que nous attendons, c’est plutôt une accélération des technologies existantes notamment une chute continue des coûts des batteries et une meilleure intégration des systèmes énergétiques dans les foyers. » – Paul de Préville
8 – Quels sont, selon vous, les principaux défis et opportunités auxquels le secteur des solutions solaires intégrées doit faire face dans les cinq prochaines années ?
« Tout d’abord, la pénurie de main d’œuvre qualifiée. Électrifier une maison, ce n’est pas « juste » poser des panneaux. C’est une combinaison de savoir-faire électrique, toiture, couverture, domotique, etc. Le problème c’est qu’on a eu beaucoup de stop and go dans ce secteur de la part du gouvernement qui empêche notre filière de se développer sereinement ou aux techniciens/entrepreneurs de se reconvertir. C’est un secteur où la parole politique et médiatique a un impact énorme sur le comportement des clients.
Ensuite, l’intégration technologique entre équipements. Pour que les systèmes deviennent vraiment intelligents (pilotage, flexibilité, VPP), il faut que tous les équipements domestiques soient interopérables. Or, beaucoup de constructeurs ne partagent pas encore leurs API et il y a une guerre d’écosystème, ce qui ralentit l’intégration. » – Paul de Préville
The New Siècle remercie Paul de Préville d’avoir répondu à notre interview et ainsi partager sa vision et son expérience à nos lecteurs.

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