Dans cette interview exclusive, The New Siècle a interrogé Nelly Brossard sur l’assurtech française, la place du digital dans la transformation de l’assurance et son engagement en faveur de la diversité dans la tech.

I. S’engager pour bâtir

Depuis 2020, vous accompagnez l’essor des assurtech avec Insurtech France, désormais intégré à France FinTech où vous siégez au collège assurtech.

1 – Qu’est-ce que ce rapprochement change concrètement pour les assurtech ?

« Il permet plusieurs éléments clés : 

  • continuer à représenter les insurtech et défendre leurs intérêts ;
  • mutualiser les ressources et les compétences et d’avoir des services élargis pour les insurtechs ; 
  • être plus puissant et unir nos forces au service des insurtechs / entrepreneurs et pour soutenir l’écosystème de l’Insurtech à l’heure où l’industrie de l’assurance est confrontée à de grandes mutations et défis  (sociétaux, climatiques, technologiques, etc.) ;
  • renforcer cet espace d’échanges privilégiés et de projets entre des acteurs qui partagent une vision commune de l’assurance, à savoir mettre la technologie au service des clients, pour leur garantir une assurance plus compétitive, simple, transparente et éthique ;
  • faciliter les coopérations intersectorielles ;
  • accroitre la  lisibilité sous cette bannière commune.

Cette intégration d’Insurtech France au sein de France FinTech a été réalisée avec la création du Collège Assurtech qui, via son comité de pilotage, réalise différentes actions (groupes de réflexion, publications, des rencontres et événements au service de cette communauté, …). » – Nelly Brossard

Insurtech France avait contribué à fédérer près de 200 start-up en seulement trois ans. 

2 – En quoi cet écosystème se distingue-t-il des autres branches de la fintech ?

« C’est un écosystème riche et spécifique. Au sein de France Fintech, les acteurs sont répartis en différentes catégories : assurtech, financement, gestion d’actifs, gestion du risque, paiements, regtech, services bancaires et services fonctionnels… 

L’insurtech est pleinement intégrée dans cet écosystème large de la fintech, et s’en distingue par plusieurs points qui en font un sous-écosystème à part entière. L’insurtech opère dans le secteur assurance sur l’ensemble des maillons de la chaîne de valeur  (distribution, les produits, la tarification, la détection de la fraude, l’indemnisation).

Les éléments spécifique tiennent au secteur assurance avec la nature même de ses produits et services (la gestion du risque et de l’aléa et la protection), de son modèle économique (primes et la sinistralité), de sa relation client dans une temporalité longue marquée par des moments de vie sensibles,  de sa régulation spécifique, de son marché et des ces modes de distribution. L’insurtech en plein essor a aussi une maturité un moins forte que celle d’autres branches de la fintech (services de paiements, bancaires notamment). » – Nelly Brossard

Vous êtes investisseuse (Assurdeal, Baloon…), administratrice indépendante (Eurodommages, MUA), et advisor pour plusieurs groupes dans l’assurance ou cet écosystème

3 – Comment choisissez-vous les projets auxquels vous vous associez ?

« Ces projets ont des points communs dans la plupart des cas. D’abord, il s’agit de belles rencontres avec des hommes et des femmes avec qui nous avons une envie mutuelle de coopérer, et ce sont des projets qui s’inscrivent dans un alignement et un partage de valeurs au regard des missions et raison d’être de ces différents acteurs. 

Enfin, ce sont des projets ou des actions à mener auxquels j’apporte une compétence et une valeur (challenge, stratégie, innovation, digitalisation, proposition de valeur, communication, développement). De façon plus globale, ce qui me passionne, ce sont deux éléments : le fait que le secteur de l’assurance ait un rôle clé sociétal et un impact très fort dans le quotidien (consommateurs, PME, entreprises, collectivités) et de contribuer à la transformation et l’évolution forte de ce secteur. » – Nelly Brossard

II. L’importance du digital dans l’assurance

Vous avez mené des projets de transformation digitale d’envergure, notamment avec la Digital Factory de la MAIF, au sein de Groupama et Capgemini Invent et travaillé dans des start up dans l’assurance ou la Tech.

4 – En quoi cette expérience vous permet d’apporter un regard différent aux conseils stratégiques menés dans les boards d’entreprises ?

« Le fait d’avoir débuté ma carrière dans des start-ups et développé une connaissance de la Tech constitue un véritable atout, tant en matière de modes de travail et de coopération qu’en matière de pragmatisme, d’efficacité, de rapidité de décision et de compréhension des écosystèmes. Sans oublier le fait d’avoir piloté différents projets de transformation (IT, modèle de distribution, marketing, digitalisation des process…) sur les volets humains, organisationnels et stratégiques.

Je connais bien le monde des start-up et l’univers des grands groupes. Cette double culture me permet de comprendre leurs logiques respectives et de faciliter leur coopération.Cette expérience me permet d’apporter un regard complémentaire dans les conseils d’administration sur les choix stratégiques, les évolutions et innovations. Mon expertise en marketing, communication, distribution et expérience client complète cette approche. Ces éléments permettent d’éclairer les décisions stratégiques sous l’angle de l’efficacité business et de la différenciation concurrentielle. » – Nelly Brossard

Le marché mondial de l’assurtech, évalué à 15 milliards de dollars en 2024, pourrait être multiplié par cinq d’ici 2032.

5 – Selon vous, à quoi ressemblera l’expérience de l’assurance pour les clients à l’horizon 2030, à l’ère de l’IA et de la digitalisation ?

« Au regard de l’évolution des usages, des attentes des clients et de l’impact majeur des technologies (data, IA, etc.), les acteurs de l’assurance font face à des enjeux cruciaux en matière d’expérience. À l’horizon 2030, l’expérience client devrait être profondément transformée :

  • des clients plus « augmentés », disposant d’outils d’aide à la décision et à la compréhension de l’information ;
  • un selfcare devenu véritablement intelligent ;
  • la voix comme interface centrale, naturelle et proactive ;
  • des parcours inclusifs et accessibles ;
  • une hyperpersonnalisation en temps réel, contextuelle et transparente ;
  • une approche axée sur la prévention grâce à des services prédictifs et connectés, capables d’anticiper les risques ;
  • une tarification et des garanties adaptées au comportement (santé, mobilité, mode de vie, usage) ;
  • une prise en compte de l’émotion en temps réel, analysée à travers les interactions. » – Nelly Brossard

III. Leadership féminin et engagement

Parmi les 120 start-up du programme French Tech 120 en 2025, on ne compte qu’environ 14 femmes fondatrices.

6 – Quels blocages institutionnels ou culturels freinent encore l’accès des femmes aux postes à responsabilité ?

« Il y a d’abord des facteurs culturels et sociaux : les stéréotypes persistants qui associent leadership, expertise technique ou entrepreneuriat à des qualités masculines, l’orientation scolaire et professionnelle encore marquée par des biais qui limite la présence des femmes dans les filières scientifiques et technologiques et le manque de rôles-modèles féminins visibles, dans la tech comme dans l’entrepreneuriat, ce qui réduit l’effet d’entraînement.

S’ajoutent des facteurs structurels et économiques. L’accès aux financements reste plus difficile, avec moins de 2 % du capital-risque mondial alloué aux entrepreneures. Les réseaux et cercles de pouvoir, encore largement dominés par les hommes, freinent la cooptation et l’accès aux opportunités stratégiques.

Enfin, des facteurs organisationnels et RH viennent renforcer ces blocages. Les critères d’évaluation sont souvent centrés sur la disponibilité et la visibilité (présence physique, mobilité internationale), ce qui pénalise les profils ayant des contraintes familiales. Le “plafond de verre” persiste, avec une progression ralentie malgré des performances équivalentes. Les promotions se font moins fréquentes et l’on retrouve ainsi un ensemble de barrières culturelles, organisationnelles, psychologiques et systémiques qui freinent l’accès des femmes aux postes de direction ou de responsabilité élevée, malgré leurs compétences et leurs résultats. » – Nelly Brossard

Vous êtes engagée dans des initiatives de mentoring et de promotion de la mixité.

7 – Selon vous, comment lever les freins qui limitent encore l’entrepreneuriat féminin dans la tech, et notamment dans l’assurtech ou l’assurance  ?

« Pour lever les freins à l’entrepreneuriat féminin dans la tech, et plus particulièrement dans l’assurtech, plusieurs leviers doivent être activés sur le long terme : développer la formation et l’attractivité des filières technologiques, faciliter l’accès au financement via des fonds dédiés et une sensibilisation des investisseurs, valoriser des rôles modèles féminins et renforcer leur visibilité, mettre en place des programmes de mentorat et d’accompagnement, promouvoir une culture inclusive, et enfin soutenir des dispositifs incitatifs publics ou privés.

Au sein de Parité Assurance, réseau de femmes dans l’assurance auquel je contribue, nous travaillons à accroître la présence des femmes dans les fonctions de direction et les conseils d’administration. Cela passe par des actions concrètes comme le mentoring, la formation ou encore la mise en lumière de fondatrices d’insurtech à travers les « RV avec une startuppeuse », organisés avec France Fintech.

De son côté, France Fintech agit également pour féminiser le secteur, en partenariat avec les écoles, les universités et d’autres associations, afin de renforcer l’entrepreneuriat féminin dans un écosystème où les fondatrices ne représentent encore que 12 % de la communauté. » – Nelly Brossard

The New Siècle remercie Nelly Brossard d’avoir répondu à notre interview et ainsi partager sa vision et son expérience à nos lecteurs.

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Nom d'auteur Juliette Lamy
Juliette Lamy a fait ses armes dans l’audiovisuel puis à la rédaction de Gala.fr et Webedia. Au sein de The New Siècle, elle orchestre les formats exclusifs : Interview, 1 Min Chrono, Le Versus et Entretien avec l’IA. Quelle que soit la thématique, intelligence artificielle, innovations, gaming, elle traque toujours l’intention. Ce que cela change. Pour qui, et pourquoi. Ses phrases, souvent courtes et rythmées, sont sa signature intellectuelle.
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