
Comment les maisons de luxe utilisent l’IA pour anticiper les tendances
Le luxe a toujours composé avec son temps. Les artisans créent aujourd’hui ce qui séduira demain. Mais le futur, depuis peu, s’écrit aussi grâce aux algorithmes. LVMH avec Louis Vuitton ou Dior, Kering avec Chanel ou Gucci, multiplient les usages de l’IA pour pressentir les tendances. The New Siècle s’est penché sur cette mécanique discrète où la technologie s’invite… sans jamais effacer la main de l’homme.
L’art d’anticiper l’imprévisible grâce à l’IA
Prévoir les tendances grâce à l’IA est presque aujourd’hui devenu une question de survie pour les maisons de luxe. Au-delà de fouiller dans les collections passées et les succès commerciaux, elle est capable de détecter ce que l’on appelle les signaux faibles, disséminés dans le flux des réseaux sociaux : hashtags éphémères, stories qui s’envolent tout en laissant une trace, influenceurs qui propagent une silhouette d’un continent à l’autre via un réel, explosion soudaine d’un filtre ou même apparition d’une esthétique qui gagne en puissance avant même d’avoir un nom.
Le commerce en ligne, lui, fournit une autre matière brute : paniers moyens, associations d’achats, vagues de retours, catalogues des concurrents scrutés au pixel… Le machine learning et le deep learning se chargent de relier ces morceaux épars. Ils produisent des rapports instantanés qui dessinent les tendances aussi bien à l’échelle d’un marché global qu’à celle d’un micro-segment. Cette lecture accélérée ouvre la voie à une ultra-personnalisation des expériences clients. Des propositions sur mesure évidemment, mais aussi des stocks taillés au cordeau et des invendus qui se raréfient.
Les laboratoires algorithmiques au service des maisons de luxe
Ce créneau, Tony Pinville, ancien développeur informatique devenu docteur en IA, l’a pris dès 2013 en fondant Heuritech. Chaque jour, des millions d’images postées sur les réseaux sociaux sont passées au crible par son IA qui flaire les tendances avant leur explosion médiatique. « Contrairement aux solutions qui reposent principalement sur des données de vente ou des recherches en ligne, notre approche nous permet d’anticiper les tendances jusqu’à deux ans à l’avance », expliquait-il dans une interview accordée à The New Siècle. Rattachée depuis 2024 à Luxurynsight, Heuritech a permis à de nombreuses maisons comme Dior ou Prada d’arriver sur certains marchés avec une longueur d’avance.
Conscient que l’avenir se jouait là, LVMH a donné naissance en 2020 à son AI Factory. Une plateforme de données (co-créée avec Google Cloud) qui relie ses 75 maisons tout en laissant chacune garder sa signature. Car Dior n’a pas les mêmes exigences que Louis Vuitton, Tiffany & Co ne réclame pas les mêmes outils que Bulgari… Là se nichent des briques algorithmiques modulaires ajustables à la carte. C’est le terreau de MaIA, un assistant interne utilisé par 40 000 collaborateurs pour deux millions de requêtes par mois. Il aide à lire les flux avant même qu’une tendance ne prenne forme.
Chez Kering, l’anticipation passe par Ekimetrics. Les modèles mis au point avec ce partenaire extérieur ont par exemple permis à Gucci de gagner 25 % de précision dans ses prévisions. Autre entreprise de fashion analytics, Stylumia, assez similaire à Heuritech. Cette start up scrute le flux visuel des réseaux, repérant les récurrences et suivant l’ascension d’une matière ou d’une couleur pour proposer des scénarios de goût projetés à six ou douze mois. Autant de grilles de lecture dont les créateurs peuvent se servir pour éclairer leur intuition.
Quand l’IA se trompe… et ce qu’il faut en retenir
Les algorithmes ne promettent pas l’infaillibilité. Tony Pinville le reconnaît sans détour. « Aucun modèle d’IA ne peut garantir 100 % de bonnes prédictions : l’erreur fait partie du processus. Et il ne faut pas oublier qu’on la compare à l’intuition humaine pour laquelle on n’a même pas cherché à mesurer les erreurs ! » Les ratés surviennent quand les données manquent ou quand surgissent des phénomènes impossibles à anticiper. Une influence culturelle qui se propage hors des radars ou un événement imprévu qui bouleverse les codes… Ces failles rappellent que l’IA lit des signaux, mais qu’elle ne saisit pas toujours la complexité d’un contexte.
De son point de vue, l’avenir n’est pas à une domination totale des algorithmes. « Les stylistes et créateurs ont une démarche créative : ils imaginent l’après, proposent du neuf, expriment une vision personnelle et émotionnelle. Les bureaux de mode, eux, observent les grands changements sociétaux et culturels sur le long terme, des dimensions qui ne se reflètent pas toujours dans les données brutes. » La projection créative et l’intuition collective restent indispensables pour donner corps aux tendances. Mais derrière la promesse d’objectivité, une zone grise demeure… celle de l’influence volontaire sur les données. Car, si une maison comprend les logiques de l’algorithme, ne peut-elle pas nourrir certains signaux pour faire grimper artificiellement ses propres codes et silhouettes dans les résultats ?
L’intelligence artificielle vient avec son cortège de promesses et ses algorithmes affûtés… mais elle s’arrête là où le luxe prend tout son souffle. Dans l’émotion brute et la sensibilité fine. Ce petit quelque chose que ne peut coder aucune machine. Qu’il s’agisse de l’AI Factory de LVMH, des prédictions de Heuritech, des modèles d’Ekimetrics ou des visions de Stylumia, l’équation reste la même. Donner aux maisons un temps d’avance, parfois jusqu’à 24 mois. Et pendant que, dans un atelier parisien ou milanais, le claquement sec d’une portière résonne comme un rituel immuable, l’IA orchestre déjà la symphonie des tendances à venir.

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