Des mondes qui s’écrivent tout seuls

Longtemps, le level design (la manière de construire un niveau et d’y guider le joueur) a reposé sur des armées de designers penchés devant des interfaces austères où chaque détail devait être posé bloc après bloc. Aujourd’hui, l’IA bouleverse le processus grâce à la génération procédurale et les réseaux antagonistes (GAN), capables de produire un niveau automatiquement tout en gardant une cohérence esthétique. Des « GAN level generation », où deux IA se défient. L’une crée, l’autre corrige… donnant naissance à des paysages plus vastes et des interactions imprévisibles.

Capcom l’a montré avec Dragon’s Dogma 2. Le jeu met en avant un monde ouvert réaliste dont les reliefs, forêts, villages ou donjons semblent s’adapter aux joueurs. Une mécanique algorithmique qui assemble des briques préexistantes et y ajoute une touche aléatoire… presque comme un maître du jeu invisible. 

Des PNJ qui pensent par eux-mêmes

Les PNJ autonomes (personnage non-joueur pour les non initiés) représentent sans doute la révolution la plus visible. Fini les dialogues en boucle et les comportements prévisibles. Les studios testent des agents intelligents nourris à l’apprentissage par renforcement, et surtout, capables d’ajuster leurs réactions au fil des interactions. Une révolution dans le domaine du gaming. 

L’effet sur le joueur ? Une expérience immersive où le villageois d’un RPG (traduisez « jeu de rôle ») peut se souvenir d’une altercation passée, où un marchand peut refuser une négociation si vous l’avez trompé la veille. Dans certains prototypes, les PNJ peuvent même discuter entre eux, tissant une micro-société parallèle qui échappe au contrôle direct du joueur. Cela paraît secondaire… Pourtant l’idée ouvre une brèche immense. Créer des mondes qui vivent au-delà de la manette.

Du décor figé à l’univers vivant

Un autre détail en dit long. La mesh navigation, cette technique qui permet aux PNJ de se déplacer sans heurter un mur ou tourner en rond, prend une toute autre dimension avec l’IA. Les trajectoires deviennent bien plus crédibles… et les environnements mieux exploités. Sans compter les agents intelligents capables de se coordonner (un ennemi qui tend un piège, un allié qui improvise une diversion). Le gameplay amélioré n’est plus une promesse marketing, il s’impose déjà dans certains titres. 

Dans The Last of Us Part II, les ennemis se coordonnent, s’appellent par leur prénom et encerclent le joueur. Dans Assassin’s Creed Odyssey, la foule suit des routines crédibles, dispersées ou resserrées selon le contexte. Même Horizon Forbidden West pousse plus loin l’illusion avec des machines et des humains qui exploitent le terrain avec une cohérence qui donne vie au monde. Le gameplay amélioré n’est plus une promesse marketing, il s’impose déjà dans des titres que tout le monde a en tête.

Les studios partagés entre fascination et prudence

Les grands studios de jeux vidéo, comme Ubisoft ou Rockstar Games par exemple, voient dans l’IA une arme à double tranchant. Elle offre une optimisation du workflow avec une génération rapide de quêtes secondaires, un ajustement des comportements ennemis, une correction de bugs grâce à des simulateurs intelligents ou encore un ajustement subtil de la difficulté, qui suit la façon dont chacun joue. Mais côté création, elle soulève des questions plus sensibles. Comment garantir une véritable créativité algorithmique sans tomber dans la répétition ?

Avec le temps, chaque nouveauté s’installe comme une évidence : la 3D polygonale, les cinématiques, la physique réaliste, les mondes ouverts devenus la norme… L’IA suivra sans aucun doute la même trajectoire. Mais le débat reste vif, car derrière l’émerveillement se cache une vérité crue. Celle que de la consommation de ressources colossales. Générer des mondes infinis ou simuler des sociétés entières réclame des serveurs (beaucoup de serveurs), une énorme puissance de calcul et une surveillance constante. C’est pourquoi les studios avancent prudemment… conscients que l’innovation ne doit pas sacrifier la jouabilité.

L’IA dans les jeux vidéo ne se limite pas à quelques scripts plus sophistiqués. Elle redéfinit la relation joueur-monde, joueur-personnage, joueur-studio. Des donjons qui se dessinent en direct, des PNJ qui prennent des initiatives, des univers où la frontière entre écrit et imprévu devient ténue. Le constat est implacable. Le jeu n’est plus seulement joué, il est vécu. Et demain, peut-être, ce sera le joueur qui devra s’adapter.

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Nom d'auteur Juliette Lamy
Juliette Lamy a fait ses armes dans l’audiovisuel puis à la rédaction de Gala.fr et Webedia. Au sein de The New Siècle, elle orchestre les formats exclusifs : Interview, 1 Min Chrono, Le Versus et Entretien avec l’IA. Quelle que soit la thématique, intelligence artificielle, innovations, gaming, elle traque toujours l’intention. Ce que cela change. Pour qui, et pourquoi. Ses phrases, souvent courtes et rythmées, sont sa signature intellectuelle.
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