
Interview : Barbara Belvisi – Fondatrice & CEO de Interstellar Lab
En 2018, Barbara Belvisi claque la porte du capital-risque pour bâtir un projet que peu comprennent alors : Interstellar Lab. À 33 ans, elle veut créer des écosystèmes de vie autonomes, capables de simuler les conditions de la Terre dans des environnements extrêmes. Diplômée de l’EM Lyon, passée par le Private Equity et les fonds tech, elle connaît l’ingénierie financière, mais choisit une tout autre radicalité : celle de l’ingénierie du vivant. En croisant biotechnologie, design spatial, agriculture contrôlée et intelligence artificielle, elle développe des BioPods, modules hermétiques capables de faire pousser des plantes en circuit fermé. Ni agrotech classique, ni projet spatial standard, Interstellar Lab joue sur deux terrains simultanés, la Terre et l’orbite. En 2022, l’entreprise installe son centre de développement de modules à Ivry-sur-Seine et celui des modules spatiaux a Cap Canaveral au Kennedy Space Center. Depuis, elle collabore avec la NASA sur la culture de plantes en milieu clos.
Dans cet entretien exclusif, The New Siècle a interrogé Barbara Belvisi sur les compromis que requiert l’industrialisation d’un projet aussi radical, les usages concrets des BioPods sur le terrain, et la manière dont cette architecture pourrait esquisser de nouveaux modèles de territoire, adaptés aux contraintes environnementales à venir.
I. De la finance au vivant
Il y a 7 ans, vous fondez Interstellar Lab pour créer des habitats biosphériques autonomes, appelés BioPods. Vous liez ingénierie du vivant, IA, design spatial et régénération. Ce croisement de disciplines n’est pas une évidence industrielle.
1 – Quelles résistances avez-vous rencontré de la part des investisseurs ou du monde scientifique, face à ce projet hybride ?
« En 2017, quand j’ai commencé à parler du projet Interstellar Lab en France, l’accueil était très mitigé. Les investisseurs et les centres de recherches m’ont regardé avec des grands yeux, ils avaient du mal à comprendre pourquoi j’avais quitté une carrière dans la finance et le capital risque pour développer des serres pour le vivant sur Terre et dans l’Espace. Ils ne voyaient pas le New Space arriver et la nécessité de construire des systèmes autonomes de culture biologiques pour l’espace. Ils comprenaient l’opportunité terrestre mais doutaient que moi, sans diplôme d’ingénieur ou d’agronome, je sois légitime.
Alors je suis partie, comme je le fais souvent, aux Etats-Unis. La NASA m’a accueillie à bras ouvert : “une ancienne investisseur qui veut dédier sa carrière à la biologie spatiale et développer des applications terrestres – GÉNIAL !”. Ils y ont vu une opportunité d’apporter une autre approche. Mon premier financeur fut un entrepreneur français, Bruno Maisonnier, un visionnaire, précurseur de la robotique humanoïde et de l’intelligence artificielle. J’ai donc ouvert la filiale française en 2020, la NASA en poche, quelques investisseurs déjà au capital, une belle équipe d’ingénieurs en place, et les français ont finalement trouvé le projet légitime. » – Barbara Belvisi
Vos BioPods visent à faire pousser des plantes dans des conditions extrêmes, aussi bien sur Terre qu’en orbite.
2 – Pourquoi avoir privilégié cette double orientation plutôt que de vous concentrer sur une seule application ?
« L’approche Terre-Espace est le cœur même d’Interstellar Lab : utiliser les contraintes spatiales pour développer des systèmes autonomes, résilients et peu consommateurs de ressources, et appliquer cela sur Terre pour avoir des serres optimisées et plus efficaces que celles déjà existantes.
L’espace pousse à innover et trouver des solutions auxquelles nous n’aurions pas pensé si on désignait seulement avec la Terre en tête. Chez nous, la Terre et la spatial sont indissociables et ont besoin l’un de l’autre pour avancer. » – Barbara Belvisi
II. Industrialiser l’utopie
Interstellar Lab ne s’inscrit ni dans l’agriculture traditionnelle, ni dans le spatial pur.
3 – Quel est le véritable marché que vous adressez ?
« Sur Terre, le marché des ingrédients botaniques et de la cosmétique. Nos clients sont L’OREAL, Robertet, DSM-Firmenich. Ils achètent nos serres et services de culture pour faire de la recherche et produire de manière plus durable et efficace des plantes stratégiques qu’ils utilisent dans leurs ingrédients.
Notre programme spatial est fait en collaboration avec les stations spatiales, dont les entreprises privées comme Vast, Axiom, Starlab et les agences spatiales, comme la NASA, le CNES ou l’ESA. Nous offrons à tous, y compris nos clients terrestres actuels, la possibilité de faire de la recherche en microgravité sur les plantes. » – Barbara Belvisi
En 2022, vous installez votre laboratoire et centre de développement à Ivry sur Seine.
4 – Comment passe-t-on, concrètement, de la vision spéculative à la production ?
« Interstellar est une startup de faiseur. Lorsque l’on a construit le Biopod Model One, nous étions à peine 20 dans l’équipe. Nous avons tous participé au montage. La production est encore en petit volume chez Interstellar, on s’est dotée de machines, d’outils, on s’est entouré d’experts et de partenaires.
Rapidement, on a industrialisé le design de nos produits pour les rendre plus facile à produire et à assembler. On a simplifié les produits pour revenir à leur fonctionnalité même, au besoin du client, et on a laissé les “features” qui sont des nice to have pas essentiels pour le client. On a écouté le feedback de nos clients et on a aussi construit pour nous, et ça change tout. » – Barbara Belvisi
Interstellar Lab est implanté en France et aux États-Unis.
5 – Entre la Silicon Valley et Paris, quelle culture a le plus façonné votre manière d’avancer, et laquelle continue de résister à votre vision ?
« J’aime les deux. La culture américaine de manière générale car nous sommes également implantés en Californie, au Texas et en Floride, est celle des faiseurs. L’idée que rien n’est impossible, ça porte et donne beaucoup d’énergie. La culture française est celle de l’excellence dans l’ingénierie et le design, elle force à se différencier par le beau et l’utile. Le mélange des deux nous réussit très bien. » – Barbara Belvisi
III. Tensions technologiques et dilemmes éthiques
6 – Le fait de cultiver une plante dans un environnement totalement contrôlé altère-t-il ses propriétés originelles ?
« Les plantes changent leur composition moléculaire en réaction des stimulis environnementaux. La vigne est un très bon exemple, elle donne plus de raisins sucrés en réagissant à la lumière, à la chaleur et à la quantité d’eau.
On fait la même chose dans les Biopods, on fait varier les conditions environnementales pour que les plantes produisent plus de molécules qui sont utiles pour nos clients, on cherche à accélérer leurs propriétés originelles plutôt que les altérer. » – Barbara Belvisi
Vous promettez une culture à faible émission, en utilisant jusqu’à 99 % moins d’eau que l’agriculture traditionnelle et en capturant le CO₂ ambiant pour enrichir l’environnement intérieur.
7 – Mais la fabrication des BioPods, leur transport, leur maintenance, voire leur démantèlement, n’a-t-elle pas un impact invisible ?
« C’est une très bonne question et on prend en compte le cycle de vie du produit dans notre conception, du choix des matériaux au technique de fabrication. On a encore des choses à améliorer, mais c’est un processus itératif et on est très concerné par l’impact environnemental de nos produits et on met tout en place pour l’optimiser. » – Barbara Belvisi
IV. Cultiver l’invisible : usage et stratégie à long terme
En 2023, vous annonciez 70 précommandes de BioPods.
8 – Où en êtes-vous aujourd’hui, et quel cap pour l’avenir ?
« Nous étions jusqu’à présent en phase d’amorçage, même si on génère déjà du chiffre d’affaires. On a reçu plus de 70 demandes de Biopods du monde entier. Nous ne sommes pas aujourd’hui capable de toutes les honorer et nous avons un peu de chemin à faire pour l’industrialisation des Biopods mais cela arrive. Cette année nous allons installer nos premiers Biopods chez nos clients à Grasse notamment. C’est un premier pas vers le déploiement de nos systèmes en dehors de notre site.
Pour passer à l’étape suivante, une plus grosse levée de fonds et la mise en place d’une chaîne de production avec nos partenaires seront nécessaires. Tout ça est prévu pour 2026, la même année ou nos systèmes seront envoyés dans l’espace. Gros programme sur les douze prochains mois en perspective ! » – Barbara Belvisi
Vous vous êtes associée à la Fondation Saint-Exupéry pour amener une rose en orbite, sur la Lune et sur Mars, dans une capsule autonome embarquée par le rover d’Astrolab sur une mission SpaceX.
9 – Qu’est-ce que vous cherchez à prouver avec ce geste, au-delà de sa portée symbolique ?
« J’ai grandi avec le Petit Prince. C’est le livre le plus lu au monde après les textes sacrés. Il s’agit-là d’un gros challenge d’ingénierie et de science. Avant tout, une mission d’espoir, un symbole de la collaboration internationale, qui donne du sens, du corps et du cœur, rendue possible grâce aux nouvelles stations privées.
Nous cherchons à renouer un lien émotionnel avec l’exploration spatiale, pour le plus grand nombre et non quelques privilégiés. Un symbole d’amour et de paix. » – Barbara Belvisi
The New Siècle remercie Barbara Belvisi pour avoir répondu favorablement à notre interview et ainsi livrer sa vision et son expérience à nos lecteurs.

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