Une révolution discrète… mais structurante

L’IA gagne les coulisses des rédactions

L’intégration de l’IA dans les rédactions se fait souvent sans grande publicité, mais elle transforme profondément la production de l’information. Par exemple, Heliograf utilisé par The Washington Post a généré plus de 850 articles automatisés en 2020, couvrant notamment des résultats électoraux et des faits locaux. De même, la BBC adapte automatiquement ses bulletins météo régionaux, à des fins d’efficacité et de rapidité.

Vers une production enrichie et dialoguée

Des outils comme Lynx Insight de Reuters offrent aux journalistes des suggestions d’angles, des données contextuelles, et facilitent la structuration des articles. En Tunisie, lors d’un séminaire à Hammamet, plusieurs rédactions locales ont expérimenté un projet couvrant intégralement un reportage avec des IA, depuis la collecte jusqu’à la transcription audio, avec relecture d’un journaliste à chaque étape. Ce modèle, entre collaboration humaine et machine, illustre concrètement le journalisme augmenté par l’IA.

Chez Mediapart, la série “L’intelligence artificielle et son monde” montre que la rédaction s’empare de ces outils, surtout pour méthodiquement analyser les enjeux éthiques et environnementaux de l’IA. Ces exemples soulignent que l’impact de l’IA sur les médias s’opère tant dans les grandes structures que dans des formats de niche ou d’investigation.

Journalisme assisté ou menacé

La question centrale reste donc bien celle de la confiance. Peut-on confier la narration du réel à un modèle statistique ? Peut-on croire un contenu généré par intelligence artificielle ?

Chartes et régulations en cours

La déontologie à l’heure de l’IA dans les médias devient une priorité. La Charte de Paris sur l’IA et le journalisme, initiée par RSF et adoptée à l’échelle internationale, met en avant la transparence, la traçabilité et le signalement clair des contenus produits ou enrichis par IA. En France, le Conseil de Déontologie Journalistique et de Médiation (CDJM) a formulé en juillet 2023 des recommandations dédiées à l’usage de l’IA dans les rédactions.

Préserver l’intégrité éditoriale

Des initiatives indispensables pour éviter le divorce pur et simple entre médias et public. Selon le Digital News Report 2024, près de 60 % des lecteurs  se déclarent mal à l’aise avec des articles majoritairement conçus par l’IA. L’éthique journalistique à l’ère de l’intelligence artificielle qui, rappelons-le à toutes fins utiles, est faite de respect de la vérité et de protection des sources, entre autres, doit ainsi s’adapter à un contexte dans lequel les générateurs de texte fonctionnent en boîte noire.

Opportunités pour un journalisme renouvelé

Gain de temps et efficacité

Mais il est de bon ton de voir le verre à moitié plein. Selon un rapport Thomson Reuters, plus de 80 % des tâches répétitives (des transcriptions essentiellement) pourraient être prises en charge par l’IA. Une automatisation des médias qui permettrait de libérer du temps pour l’investigation et l’analyse. Quoi que l’on en pense, la machine est en marche. L’enquête DISPATCH du Reuters Institute, qui explore comment les rédactions intègrent concrètement les technologies d’intelligence artificielle dans leurs processus, montre une montée en puissance de ces pratiques, tant en backoffice que pour des usages orientés lecteur.

Un journalisme augmenté, mais pas déshumanisé

Le journalisme augmenté par l’IA ne remplace pas le jugement humain. Il l’assiste. Du passage au texte audio (comme le nouveau briefing vocal de Time) à la segmentation datadriven, l’IA permet d’adapter les contenus à différents publics. Elle sert aussi de radar de tendances pour identifier les sujets à creuser.

Le défi de la souveraineté éditoriale

Une dépendance technologique à hauts risques

La dépendance aux grandes plateformes technologiques constitue l’un des angles morts du débat sur l’IA dans les médias. La plupart des outils utilisés dans les rédactions s’appuient sur des modèles propriétaires développés par OpenAI, Google, Amazon ou Anthropic. Ce monopole technique soulève de graves enjeux de souveraineté : qui contrôle les biais ? Qui peut garantir la confidentialité des données traitées ? Comment éviter que les contenus produits ne soient utilisés pour entraîner d’autres modèles sans autorisation ni rémunération ? En réponse, l’Alliance de la presse d’information générale (APIG) et le SEPM ont appelé à ouvrir des négociations avec ces géants, pour un contrôle plus équitable et rémunéré.

Des alternatives émergent, mais restent fragiles

Certains groupes prennent les devants. En France, Le Monde a signé un accord de partenariat avec OpenAI pour encadrer l’usage de ses contenus dans la formation de modèles, avec des clauses strictes garantissant la transparence (mention du média, lien direct, titre) et une clause d’opt-out permettant au journal de retirer ses contenus à tout moment si les conditions ne sont plus respectées. De son côté, l’agence de presse AFP collabore avec l’INA pour développer des outils d’IA en open source, sur des bases de données sécurisées.

Au-delà de l’outil, c’est une logique de gouvernance qui doit prévaloir. Les médias doivent également jouer collectif, à l’image de l’initiative européenne PublicSpaces, qui promeut une infrastructure numérique ouverte, éthique et souveraine. Dans cette perspective, la maîtrise de l’IA devient un enjeu éditorial, mais aussi stratégique et politique.

Catégories :
Nom d'auteur Raphaël Pintart
Raphaël Pintart est rédacteur et journaliste de formation, titulaire d’un diplôme en lettres. Il a débuté sa carrière à la télévision — notamment chez Canal+ et TV5 Monde — avant de prêter sa plume à plusieurs rédactions telles que Le Figaro, L’Obs, Cnet ou 20 Minutes. Curieux des transformations culturelles, sociétales, politiques et technologiques, il cultive une approche éditoriale entre exigence intellectuelle et goût prononcé pour les angles inattendus.
bloc pub

Laisser un commentaire

Inscrivez-vous !

INSCRIVEZ-VOUS À
NOTRE NEWSLETTER !

Renseignez votre adresse mail
pour recevoir nos nouveautés
et rester informé de nos actualités.