Dans cette interview exclusive, The New Siècle s’est entretenu avec Hugo Caselles-Dupré sur la manière dont Obvious construit une rareté numérique à l’heure des NFT, et les questions éthiques que soulève l’usage de l’IA dans le champ artistique. L’échange revient aussi sur ce que dit leur recherche de la possibilité, désormais réelle, de traduire une pensée en image. Enfin, il aborde un enjeu discret mais fondamental : la pérennité d’une œuvre numérique lorsque les technologies qui l’hébergent, elles, n’ont rien d’éternel.

I. Obvious, laboratoire créatif

Vous avez déclaré que “l’’IA ne dépasse pas la créativité humaine, elle la décuple”. D’autres artistes, comme Refik Anadol, Mario Klingemann ou Anna Ridler, explorent eux aussi ce terrain.

1 – Concrètement, comment fonctionne le processus créatif d’Obvious ?

« Notre processus créatif est souvent motivé par des découvertes scientifiques et notre propre recherche. Lorsque nous découvrons un nouveau papier de recherche intéressant ou créons un nouvel algorithme, cela nous amène souvent beaucoup d’inspiration pour créer. Que ce soit créer avec la nouvelle découverte ou quelque chose à propos de cette découverte. Techniquement, ensuite, nous récoltons des données libres de droit et entraînons nos IA en fonction du projet (image, vidéo, son, etc). » – Hugo Caselles-Dupré

2 – En quoi se distingue-t-il d’un outil comme Midjourney ou Leonardo AI ?

« Nous créons la plupart du temps nos propres IA. C’est la raison pour laquelle nous avons créé notre laboratoire de recherche en partenariat avec la Sorbonne. Nous inventons ces IA et nous publions des papiers scientifiques ainsi que du code open source. Un bon exemple est OnlyFlow. » – Hugo Caselles-Dupré

Un NFT certifie qu’un fichier est unique sur la blockchain. Mais l’image elle-même peut être copiée ou détournée.

3 – Comment construisez-vous la rareté perçue autour de ces œuvres, au-delà de la rareté inscrite dans le NFT ?

« Les NFT permettent de collectionner des objets numériques. Ils sont intéressants lorsque la confiance est présente. Si le vendeur est mal intentionné, il peut vendre des « contrefaçons ». C’est la même chose dans le monde réel avec les faussaires. » – Hugo Caselles-Dupré

Depuis la vente du Portrait d’Edmond de Belamy chez Christie’s pour 432 500 dollars, Obvious a multiplié les collaborations muséales et scientifiques.

4 – Le modèle économique d’Obvious repose-t-il toujours sur la vente d’œuvres, ou a-t-il intégré d’autres leviers ?

« Le plus clair de notre temps est passé à créer, ce qui est une priorité pour nous. Après le modèle économique suit ! » – Hugo Caselles-Dupré

Vous avez été parmi les premiers artistes français à collaborer avec une galerie de premier plan, celle du marchand d’art Kamel Mennour, dès 2021. Aujourd’hui, vos œuvres numériques continuent à se vendre sur la plateforme SuperRare, parfois autour de 10 000 dollars.

5 – Quel profil d’acheteur s’intéresse aujourd’hui à l’art numérique ?

« Il n’est pas évident de faire le portrait robot du collectionneur d’art numérique. On s’imagine un jeune entrepreneur de la tech bien cliché mais nous avons rencontré des personnes très variées, que ce soit en milieu social, éducation… Il n’y a pas vraiment de profil type, à part un attrait pour la technologie. » – Hugo Caselles-Dupré

II. Le cerveau au service de l’art

Votre projet “Mind-to-Image”, mené avec l’Institut du Cerveau, propose de transformer une activité cérébrale en représentation visuelle générée, grâce à l’analyse de signaux captés sous IRM.

6 – Qui détient les droits sur ces images générées par le cerveau ?

« Pour nous il paraît évident que les droits des images générées par le cerveau d’une personne appartiennent à la personne. Ayant insufflé l’intention créatrice pour la formation de cette image, la personne en est l’auteur, et tout le système n’est qu’un moyen de transposer l’intention en un résultat graphique. » – Hugo Caselles-Dupré

La recherche sur la reconstruction d’images mentales est suivie de près par des acteurs comme Neuralink ou Meta.

7 – Quel serait, selon vous, le point de bascule à partir duquel ce type de technologie, une fois industrialisée, pourrait devenir une menace ?

« Toute technologie est potentiellement une menace, et aussi potentiellement une solution. Par contre toutes les technologies n’ont pas le même potentiel. Les interfaces cerveau machine ont un potentiel immense. Notre monde est extrêmement limité par le fait que les humains ne peuvent pas communiquer avec une vitesse de débit rapide. Il est dit que le langage parlé permet une communication de l’ordre de 50 bits par seconde. Imaginez maintenant que les ICM peuvent décupler ou multiplier par plusieurs ordres de grandeur cette quantité. Ce serait une accélération dramatique qui pourrait changer la face de notre monde comme internet et les télécommunications l’ont fait. » – Hugo Caselles-Dupré

III. S’inscrire dans la durée

Un NFT ne contient pas l’image, seulement un lien vers un fichier externe. Si l’hébergeur disparaît ou si le protocole évolue, l’œuvre peut devenir inaccessible, même si le jeton reste actif.

8 – Comment avez-vous pensé la conservation de vos œuvres numériques ?

« Nous avons plusieurs backups sous différentes formes (cloud et physique). Ces bonnes pratiques existent depuis assez longtemps dans le monde de l’informatique. Pour ce qui est des installations notamment interactives c’est plus difficile car il y a la partie physique et la partie software. La partie software est la plus difficile à maintenir et conserver, car elle peut dépendre des ordinateurs utilisés pour faire tourner l’installation. C’est un gros problème qui est difficile à appréhender. » – Hugo Caselles-Dupré

9 – Existe-t-il des limites à l’IA créative que vous ne voudriez pas franchir ?

« Il est difficile d’imaginer cela car notre curiosité est débordante et donc la seule limite serait une morale de base. Au delà de ce critère qui peut se révéler clé et complexe, toute expérimentation artistique est justifiable et potentiellement intéressante, même la plus simple ou stupide. » – Hugo Caselles-Dupré

The New Siècle remercie Hugo Caselles-Dupré d’avoir répondu à notre interview et ainsi partager sa vision et son expérience à nos lecteurs.

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Nom d'auteur Juliette Lamy
Juliette Lamy a fait ses armes dans l’audiovisuel puis à la rédaction de Gala.fr et Webedia. Au sein de The New Siècle, elle orchestre les formats exclusifs : Interview, 1 Min Chrono, Le Versus et Entretien avec l’IA. Quelle que soit la thématique, intelligence artificielle, innovations, gaming, elle traque toujours l’intention. Ce que cela change. Pour qui, et pourquoi. Ses phrases, souvent courtes et rythmées, sont sa signature intellectuelle.
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